Nicole Bricq, la ministre qui avait la satisfaction du résultat obtenu sans triomphalisme
Ses anciens collaborateurs de la Direction Générale du Trésor ont appris la disparition accidentelle de Nicole Bricq, éphémère ministre de l'environnement, puis ministre du commerce extérieur de 2012 à mi 2014 sous Jean Marc Ayrault, avant d'être débarquée par l'avènement de Manuel Valls et l'appétit de Laurent Fabius d'incarner le vieux rêve des diplomates en avalant le commerce extérieur pour le rattacher au Quai d'Orsay. J'étais l'un d'entre eux. Je veux témoigner.
Nicole Bricq était une personne libre. Peu connue du grand public, à telle enseigne que l'excellent ouvrage de Patrice Duhamel et Jacques Santamaria sur l'Élysée, à l'entrée Menus, évoque en note infrapaginale sans la nommer, "l'obscure ministre du commerce extérieur" à propos de sa sortie captée par des micros indiscrets auprès de Jean Marc Ayrault et son épouse d' un sonore "c'était dégueulasse" concernant le dîner d'État servi pour la réception du président chinois.
En tant que ministre éphémère de l' environnement de Jean Marc Ayrault I, formé entre la présidentielle et les législatives, l'"obscure", mais néanmoins volontaire, Nicole Bricq s'était déjà illustrée par la décision controversée d'interdire les sondages pétroliers au large de la Guyane au mépris des permis déjà attribués et de la moindre concertation avec les opérateurs, ce dont certains commentateurs n'ont pas manqué de gloser, soit pour noter que, politiquement, la ministre n' était qu' intérimaire avant que le résultat des législatives ne permette d'introniser une "vraie" ministre (Delphine Batho), soit que, personnellement, Nicole Bricq, n'était pas taillée pour un tel costume, et que sa "rétrogradation" comme ministre du commerce extérieur était inscrite dans l'ordre des choses.
Première ministre "plein" du commerce extérieur depuis Raymond Barre ou Édith Cresson, Nicole Bricq était le marqueur d'une ambition pour le quinquennat: l'inversion de la courbe du commerce extérieur, avec, hors énergie, le retour à l' équilibre. Même informée de l'avis de quelques économistes pour se persuader que l'affichage n'était pas totalement irréaliste, la ministre se voulait l'incarnation du volontarisme. Las, elle n'ignorait pas non plus l'ingratitude et les limites du portefeuille: pas de levier sur les politiques de compétitivité, des moyens d'action très limités sur l'offre à la micro-économie, qu'il s'agisse des ETI, PME/PMI ou des filières de façon à "muscler" notre appareil exportateur et dynamiser les acteurs du commerce extérieur dans un temps très court, peu de visibilité dans la politique des grands contrats, traditionnellement réservée au président de la République ou pour ce qui sera le cas dans le quinquennat du ministre de la Défense.
Mais, servie par les circonstances, elle s'était particulièrement illustrée dans la dimension européenne de son action, avec le lancement des négociations des accords de libre-échange avec le Japon ou les États-Unis. Sa capacité à comprendre les enjeux, à exposer sa ligne, parfois avec tranchant, auprès de négociateurs commerciaux masculins, à l'ego bien dimensionné, politiquement coriaces, et rompus aux technicités, et à saisir les rapports de force même en situation d'isolement, a fait merveille. Moins connu que le partenariat transatlantique, le mandat pour la négociation d'un accord de libre-échange avec le Japon a intégré, à l'occasion d'un conseil européen des ministres du commerce extérieur déjà marqué par des interruptions demandées par la ministre pour négocier en bilatéral avec la Commission, tous les objectifs qu'elle s'était fixés en particulier sur l'automobile.
Quant au mandat du TTIP, nul n'a oublié la féroce bataille pour l'obtention de l'exception audiovisuelle dans le mandat, atteignant son paroxysme avec le qualificatif de "réactionnaires" lancé, depuis Strasbourg, à la tête des tenants de l'exception culturelle, c'est-à-dire de tout ce que notre pays compte d'influents, de capacités médiatiques, et de faiseurs d'opinion, par le président de la Commission, José Manuel Barroso. Au cours de ce mémorable conseil européen des ministres du commerce qui s' est tenu à Luxembourg pendant plus de douze heures, dont moins de deux heures en formel, ponctuées de suspensions de séances, et de négociations en coulisses pimentées par les interventions en direct de Barack Obama auprès du Premier ministre Cameron et de la Chancelière Merkel pour rejeter l'exclusion, Nicole Bricq était restée imperturbable, sûre de sa cause, et certaine de l' emporter malgré un isolement total, se bornant à répéter son soutien à l'initiative, qu' elle estimait potentiellement positive pour la France sous certaines conditions, et dès lors que l' exclusion de la culture serait admise dès le départ. Le résultat obtenu, et ce alors que, quarante-huit heures avant ce "réactionnaires", nous étions convenus avec un conseiller très proche de Manuel Barroso de l'intérêt réciproque de maîtriser la communication à l'orée d'une négociation qui ne manquerait pas d'embûches, sa conférence de presse dans la nuit avait confirmé cette tonalité: aucun triomphalisme sinon la satisfaction du résultat obtenu à nos conditions assortie d'un rappel à son soutien aux négociations.
Le nombre des sauveurs de l'exception culturelle française, à l'instar de Joffre après la bataille de la Marne, a brusquement enflé. Nicole Bricq ne trouva pas matière à s' exposer davantage, un communiqué de la profession faisant toutefois au lendemain du Conseil de Luxembourg une certaine analogie en la qualifiant de "Dame de fer", déjà tournée vers un autre combat, celui de la transparence de la négociation commerciale avec comme point de départ la publication du mandat demandée au Conseil européen auxquels certains États membres parangons de bonne gouvernance s'opposèrent et qui ne fut obtenue qu'après dix-huit mois d'obstination dans un contexte de contestation montante contre le projet transatlantique, et d' une réforme de la gouvernance de la politique commerciale. Elle avait conscience des limites de son mandat, qu'elle incarnait avec une liberté et une pugnacité sans égales. Le "politiquement correct" n'était pas de son fait dès lors que le devoir la guidait. Nicole Bricq fut une grande ministre du commerce extérieur.
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