Pourquoi seul Jean-Jacques Goldman pourrait sauver la gauche
Voilà des mois (des années) que la question taraude la gauche : qui pour reprendre la main, renouer avec les 50 % + 1 ? Dans cette famille dysfonctionnelle, on ne sait plus bien s’il faut s’allier, se haïr, pointer du doigt les différences, ou au contraire les polir pour donner l’illusion du brillant. Moins on diverge, plus on triomphe, pense la gauche décrépite. Le problème à présent est que la gauche toute entière ou presque applique aussi cette théorie à son électorat, réel et espéré. La voici qui agit comme s’il n’était plus question de dessiner une vision, pourtant le propre de la noble politique, de modeler un projet commun ambitieux et enthousiasmant, mais comme si seul comptait, pour l’emporter, d’épouser et de légitimer les combats d’électorats supposés, peu importe qu'ils se révèlent si délétères pour la société.
Dans un entretien accordé à L’Express, le philosophe et député européen Raphaël Glucksmann regrette le recul du citoyen derrière l’homme, c’est là le danger que la gauche fait courir à ses électeurs. En érigeant la société et plus largement l’Etat et ses institutions - à commencer par l’école - en censeurs de l’individu et de ses identités, elle donne corps à la défiance. En tordant à chaque manifestation, à chaque émeute, le discours sur la police violente, uniquement violente, elle alimente la peur et le rejet, tout en rendant inaudible pour l’autre partie du spectre politique la réalité des fautes.
La caricature nourrit la caricature et l’aveuglement. Jean-Luc Mélenchon le sait. En postant sur X une vidéo de la manifestation pro-palestinienne place de la République, lors de laquelle "Allah Akbar" a été scandé par les manifestants, et en s’exclamant "Voici la France", le chef insoumis ne songe pas un seul instant qu’il consolide la République et fortifie le vivre ensemble. Il cède. Devant ceux qui jugent Dieu plus grand que les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, il s’incline, par clientélisme diront ses contempteurs. Par facilité, évidemment.
Car, dans la France de 2023, la gauche a un combat à mener. Sauf qu’il n’a rien d’aisé. Mélenchon et les siens pourraient vouloir redonner du sens et surtout, une tangibilité à cet universalisme que nous agitons parfois sans nous rendre compte qu’aujourd’hui pour beaucoup le si beau mot sonne creux. Plutôt que d’approuver des revendications toujours plus minoritaires, toujours plus fragmentées, plutôt que de conforter une partie de la jeunesse dans sa conviction d’être victime d’un Etat qui la déteste, de politiques et de médias qui la méprisent ou la stigmatisent, plutôt que de se laisser déborder, la gauche gagnerait à oser, une fois, dire "Assez !". Eriger des digues pour préserver les passerelles. Montrer les ravages du communautarisme, remémorer aux esprits dolents les droits de l’individu pour donner du sens à ses devoirs, bref, dresser des murs entre les déclinistes de la République et les électeurs désemparés pour que, demain, le dialogue avec la République sociale reprenne et se poursuive. Lors des élections, dans la vie associative, politique, culturelle… Ainsi les citoyens, épaulés par les responsables politiques, recréeront du commun.
Dans un livre intelligent consacré à Jean-Jacques Goldman, paru fin août au Seuil, l'historien Ivan Jablonka raconte comme le chanteur, ontologiquement de gauche, a petit à petit tourné le dos à cette dernière quand lui est apparu qu'elle avait jeté par-dessus bord les valeurs qui pour lui comptent : le mérite, le travail, "les moyens légaux" par lesquels s'en sortir comme chante Goldman dans Envole-moi, et les différences qui assemblent au lieu de diviser. Jablonka en arrive à la conclusion que Goldman a réinventé "une gauche pragmatique". C'est sans doute celle-là dont la République doit souhaiter l'avènement. La gauche a enfin un candidat.