La laïcité version Printemps républicain a favorisé la montée du Rassemblement national, selon l'écrivain Aurélien Bellanger

La frontière a l’épaisseur d’une page avec, d’un côté, la fiction et, de l’autre, la réalité. D’un côté, donc, Grémond, Taillevent, Frayère, Revêche, Lassana Diop, Lili Caen, Véronique Bourny… De l’autre, Laurent Bouvet, Raphaël Enthoven, Michel Onfray, Philippe Val, Rokhaya Diallo, Rachel Khan, Caroline Fourest… bref, les mêmes ou presque. Au milieu, Sauveterre alias Aurélien Bellanger qui, entre roman et essai, revient sur la dérive qui a bien failli mener le Parti socialiste à sa perte. D’un côté, aussi, la gauche et, de l’autre, la droite avec, pour passeur d’idées spécieuses, le Mouvement du 9 décembre, double fictionnel du Printemps républicain né dans le sang des attentats de 2015. Le 9 décembre?? C’est la date anniversaire de la souvent incomprise loi de 1905 portant séparation des Églises et de l’État. Aristide Briand, qui en était le rapporteur, la résumait par une élégante formule : « La loi protège la foi à condition que la foi ne veuille pas faire la loi. »

« Cette loi est un des protagonistes du récit, souligne Aurélien Bellanger. Car c’est en son nom, à travers une lecture qui en trahit autant l’esprit que la lettre, que le mal a été fait par le Printemps républicain dont je me suis attaché à comprendre la dérive. Commencé de longue date, ce récit se veut un essai d’histoire immédiate, en temps réel, un legs documenté. Car si le Printemps républicain tombera bientôt dans les oubliettes de l’histoire, les dégâts qui lui sont imputables et ne se réduisent pas la seule mise en péril du Parti socialiste, continueront à produire longtemps leurs effets délétères pour la démocratie. Sa lecture biaisée de la laïcité a eu pour autre conséquence de favoriser la montée de l’extrême droite. » En 1905, Aristide Briand avait été surpris de voir des parlementaires se focaliser sur le port de la soutane. Charles Chabert, un radical-socialiste, avait déposé un amendement, rejeté, aux arguments analogues à ceux d’aujourd’hui contre une autre religion. S’agissant d’une loi de liberté, c’est finalement la notion de trouble à l’ordre public qui avait prévalu et continue à prévaloir. Mais sanctionner celui-ci ne suffirait plus, il faut rendre visible la laïcité dans l’espace public?; ce qui revient à vouloir rendre invisibles les religions. Or, autant celles inscrites de longue date dans le paysage culturel passent inapercues ou presque, autant la dernière advenue - l’islam - le peut d’autant moins qu’elle est stigmatisée. « L’intransigeance de plus en plus partagée du Printemps républicain, constate Aurélien Bellanger, aura eu pour effet paradoxal de fabriquer ce qu’elle était censée éviter : le repli communautaire, à moins que ce repli ait été voulu sans le dire ouvertement… Une situation intenable n’est-elle pas un procédé éprouvé pour inciter une population indésirable à partir?? »

Et de développer : « Dans mon livre, le Mouvement du 9 décembre s’ingénie à faire passer la violente passion islamophobe de la droite conservatrice, largement nourrie d’un catholicisme hier omnipotent, à la gauche afin que celle-ci, déchargée de ce lourd et embarrassant passé, la rende plus acceptable sous couvert d’une laïcité qui lui doit beaucoup. Il y a, par ailleurs, quelque chose du même ordre que la mutation qui, au XIXe siècle, a vu l’antisémitisme culturel et économique virer en antisémitisme “scientifique”. Or, tant qu’il est réductible à une question culturelle, le racisme n’est pas systématique… »

Son intransigeance a-t-elle coûté Matignon à la gauche ?

Mais l’ennemi est aussi intérieur. « Dans mon livre, reprend l’écrivain, le Mouvement du 9 décembre dénonce l’héritage de Mai 1968, la gauche libertaire, la sociologie, singulièrement celle de Pierre Bourdieu, qui confondrait excuses et explications. Les causes du déclin de l’occident sont identifiées. Pure invention?? Les 7 et 8 janvier 2022, s’est tenu à la Sorbonne un colloque intitulé Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture et visant à sortir de la “pensée unique” que constitueraient le “wokisme”, le néoféminisme, l’écoféminisme, l’intersectionnalité, la “cancel culture” et bien d’autres “cultural studies” perçues comme menaçantes. Il s’agissait, aussi, de promouvoir une nouvelle pensée, selon eux, véritablement humaniste, rationnelle et universelle. »

Cofondateur du Printemps républicain, le politiste Laurent Bouvet, décédé en 2021, trouvait là une explication au déplacement d’une partie du vote des classes populaires vers le Rassemblement national. « Son concept d’insécurité culturelle qui a tout d’une prophétie autoréalisatrice ramasse assez bien, les inquiétudes de son mouvement, note Aurélien Bellanger. Son double dans mon livre, Grémond, est allé jusqu’à devenir maurrassien, c’est tout dire…  » « Je suis athée, mais catholique », clamait Charles Maurras. Le fondateur de l’Action française signifiait là et son inintérêt pour la parole évangélique et l’importance qu’il accordait à l’Église, garante d’un ordre social qui lui était cher.

« Mouvements sociaux non encadrés, MeToo qui irait trop loin, antiracistes qui seraient devenus les vrais racistes, énumère Aurélien Bellanger, le Printemps républicain a le souci du vieux monde. Il considère, par ailleurs, que les questions sociétales n’intéressent pas les milieux populaires. Conservateur à l’en croire, sur ce plan-là, le peuple de gauche serait à aborder sur le seul plan social. Quel contresens historique?! C’est oublier que la gauche est, par essence, émancipatrice et progressiste sur tous les plans. Au lieu de ça, on a le patron du Parti communiste qui vante la valeur travail entre deux plats de viande rouge?!  » « C’est aussi oublier, prolonge l’écrivain, que la mixité des origines est plus forte au sein des classes populaires qu’au sein des élites qui l’ont érigée en problème. Et la cause LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) n’est pas étrangère aux classes populaires. » Le Parti socialiste?? Longtemps moribond, il s’est rétabli en regardant à sa gauche…

Jérôme Pilleyre

Lire. Aurélien Bellanger, Les derniers jours du Parti socialiste, Éditions du Seuil, août 2024, 23 €.