Un habitant de Felletin (Creuse) a bataillé pendant un an pour faire valoir ses droits en matière de handicap
Christophe Couronné est un rescapé. Victime d’un grave accident domestique en 2003, il en a gardé d’importantes séquelles : des brûlures au 3e degré, atrophies musculaires principalement au niveau des jambes, troubles de l’équilibre à la marche, limitation des amplitudes articulaires, etc. Il a été immobilisé pendant 11 mois, subi de multiples greffes, des chevilles au fessier… Bref, Christophe Couronné est devenu handicapé.
Impossibilité à maintenir une station debout ou assiseDepuis, il accuse « une impotence fonctionnelle avec impossibilité à maintenir une station debout ou assise ou une marche de manière prolongée », comme l’atteste un médecin creusois, dans un certificat réalisé en 2021. Concrètement, se déplacer ou rester dans la même position est pour lui une galère quotidienne, sans compter les douleurs. Pourtant, en octobre dernier, après la visite d’une équipe pluridisciplinaire de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) composée d’un référent insertion professionnelle et d’un infirmier, Christophe Couronné reçoit une proposition de rejet de versement de l’Allocation adulte handicapé, qu’il touchait depuis plusieurs années. Le quinquagénaire est sous le choc, même si la décision doit encore être entérinée par la CDAPH, la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées.
« Nous ne pouvons pas financer toute la misère du monde »« On ne comprend rien à tout ça. Ma vie n’a pas changé… Et puis, je prends de l’âge. Donc forcément mes douleurs sont plus importantes. »
La proposition de la MDPH est pour lui incompréhensible. Il commence par la contester par écrit, en pointant des faiblesses dans l’évaluation de sa situation par l’équipe pluridisciplinaire. Il s’étonne notamment que lors de la visite, non seulement son corps n’a été ausculté qu’en partie, mais qu’en plus, il a fait l’objet de propos déplacés du type : « nous ne pouvons pas financer toute la misère du monde ». Des propos pour lesquels il a obtenu des excuses par la suite de la part de la MDPH. Un des membres de l’équipe a aussi insisté sur ses problèmes de tabac et d’alcool… alors que Christophe Couronné assure qu’il est abstinent depuis plusieurs années.
Surtout, quelles que soient ses addictions, elles n’ont pas empêché l’habitant de Felletin de tenter de se reprendre en main professionnellement, en créant, en 2018, sa microentreprise d’artisan tapissier en ameublement, Mille chaises & co. « C’est ma formation », sourit-il.
Reprise d’activitéMais c’est peut-être cette reprise d’activité qui a joué en sa défaveur, puisque le document de rejet de l’AAH mentionne que « les éléments liés à [sa] situation de handicap n’[interdisent] pas l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi pour une durée de travail supérieure ou égale à un mi-temps. […] Vous ne pouvez donc pas bénéficier de l’AAH. » Sauf que cette considération de temps de travail, la MDPH la calcule sur une déclaration de Christophe Couronné lui-même, lequel aurait indiqué, lors de la visite de l’équipe pluridisciplinaire, être en capacité de travailler de quatre à cinq heures par jour. « C’est faux ! », s’emporte le quinquagénaire, qui a pu mettre la main sur son dossier, ou du moins une partie, il y a quelques semaines seulement. Je ne comprends pas pourquoi il est écrit ça. Le nombre d’heures que je peux travailler par jour, c’est très aléatoire. Au pire, c’est un maximum. »
Renouvellement pour cinq ansSuite à la proposition de rejet d’Allocation adulte handicapé, Christophe Couronné n’a pas baissé les bras. Il a fait réaliser deux certificats médicaux dans le sens d’un renouvellement et a fini par obtenir une notification d’AAH… mais pour un an seulement. Cet été, il a donc dû réaliser un nouvel entretien, puis subir un nouvel examen médical, sa « septième convocation, avec six interlocuteurs différents, dont deux fois le même médecin, en l’espace de sept mois », écrit-il dans un courriel d’échange avec la MDPH.
« Ils ont réussi à me mettre le doute, à savoir si je suis handicapé ou pas. Ils m’ont mis le doute. C’est épuisant psychologiquement. Plein de gens me disent qu’ils auraient abandonné à ma place… C’est peut-être ce qu’ils cherchent à faire ».
C’était avant d’apprendre, le 10 septembre dernier, que la MDPH lui proposait un renouvellement de cinq ans de son AAH. Une décision qu’il a accueillie avec soulagement et qui a été confirmée ensuite par la CDAPH. Contacté par mail au sujet de Christophe Couronné, le directeur de la MDPH, Jérôme Lemaire, a simplement indiqué en retour : « Par principe, nous ne communiquons pas sur les situations individuelles. »
Il reconnaît aussi une subjectivité dans le fait de « faire entrer quelqu’un dans le statut du handicap ». « Ça signe pour certains un renoncement, estime-t-il. C’est quelque chose qui risque d’enrayer une dynamique de remise en travail. »En défense du travail de la MDPH, Marc Tijeras ajoute que les retards dans les traitements des dossiers ne sont pas forcément négatifs. « Il y a certains retards qui peuvent cacher une qualité de travail, par le fait de recourir à des évaluations supplémentaires. »
Daniel Lauret