Espagne : malgré les déboires qui s’accumulent, le maintien sur un fil de Pedro Sánchez au pouvoir
Une défaite électorale au pire moment pour Pedro Sánchez. Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) du Premier ministre en poste à Madrid a essuyé de mauvais résultats le 21 décembre dans les urnes, lors d’un scrutin régional organisé en Estrémadure, dans l’ouest de l'Espagne. Dans cette région longtemps acquise à la gauche, le Partido popular (PP), principale formation à droite de l’autre côté des Pyrénées, l’a de nouveau emporté, comme lors du dernier scrutin. Cette déroute est loin d’être anecdotique pour les socialistes, car elle pourrait préfigurer l’accord redouté par la gauche au niveau national.
En effet, bien qu’arrivé en tête en Estrémadure, le PP a besoin des voix des élus du parti d’extrême-droite Vox pour obtenir une majorité au sein de l’assemblée régionale et pouvoir gouverner. Un schéma, qui, s’il se répétait au moment des élections législatives, constituerait une véritable menace pour les socialistes et Pedro Sánchez. Le PSOE a d’ailleurs fait de ce scénario un argument pour convaincre les Espagnols de continuer à lui accorder sa confiance. Mais le Premier ministre, au pouvoir depuis 2018 et plus fragilisé que jamais, est-il la personnalité idoine à gauche pour incarner cette alternative à une alliance entre la droite et les nationalistes ? Celui-ci croit en tout cas toujours à sa stratégie et compte bien rester en poste jusqu’à la fin de son mandat, en 2027.
Affaires de corruption et #MeToo interne
Pourtant, les nuages s’accumulent au-dessus de l’avenir de son gouvernement. Avec, ces derniers mois, des procédures judiciaires qui ternissent particulièrement l’image de Pedro Sánchez. Plusieurs de ses proches sont ainsi soupçonnés d’être impliqués dans différentes affaires de corruption. José Luis Abalos, ex-ministre des Transports et réputé proche du Premier ministre, est ainsi accusé d’avoir perçu des pots-de-vins dans le cadre de l’octroi de marchés publics. Des soupçons similaires pèsent sur l’ancien numéro 3 du PSOE Santos Cerdán. Pire encore, la proche famille du Premier ministre est concernée par ce genre de mise en cause. Son épouse Begoña Gómez est citée dans plusieurs dossiers, notamment de détournement de fonds, quand son frère, le chef d’orchestre David Sánchez, doit être jugé pour trafic d’influence.
Au total, une dizaine d’enquêtes liées à la corruption concernent le PSOE depuis l’arrivée de Pedro Sánchez au palais de la Moncloa. De quoi mettre à mal la promesse du socialiste d’éradiquer ce fléau en politique. Un argument qu’il mettait en avant en 2018, lorsque le PP, le parti de son prédécesseur Mariano Rajoy, était lui-même englué dans un scandale XXL de corruption. Mais ce n’est pas tout. Les actuels déboires judiciaires de la formation de gauche se combinent avec une série d’accusations de violences sexistes et sexuelles (VSS) par des cadres du parti. Plusieurs maires, un sénateur ou encore un responsable interne ont été mis en cause par des plaignantes pour des comportements inappropriés à caractère sexuel. Et, là encore, un proche du Premier ministre a été épinglé : son ex-conseiller gouvernemental Francisco Salazar.
Le traitement des signalements au sein du parti de Pedro Sánchez, qui a fait de son soutien aux combats féministes un des piliers de sa politique, a par ailleurs été pointé du doigt. "Il y a beaucoup de machisme à nettoyer au sein du PSOE", a notamment accusé, auprès du site web Articulo 14, une des militantes ayant pris la parole pour dénoncer l’une des figures socialistes mise en cause. Tant pour la corruption qu’au sujet de ces accusations de VSS, le PSOE est donc accusé de n’avoir pas vraiment pris au sérieux les enjeux de ces problématiques. Le Premier ministre, lui, a tenté de tempérer les dysfonctionnements constatés au sein de son parti, jurant agir de façon "ferme" sur ces deux thèmes.
Coalition à l’avenir incertain
Sur le plan politique, Pedro Sánchez est également très affaibli. Formée en 2023, cette coalition formée avec le parti de gauche radicale Sumar semble menacée. Les responsables de ce dernier ont réclamé un remaniement en profondeur son gouvernement, ce que le Premier ministre se refuse à faire jusqu’à présent. Cet automne, la rupture de son alliance avec les indépendantistes catalans de Junts, emmenés par leur chef de file Carles Puigdemont, a encore un peu plus compliqué l’équation. Plus qu’une chute rapide de son gouvernement, difficilement imaginable à court terme par la fragmentation du paysage politique espagnol, l’inertie apparaît comme le principal danger pour Pedro Sánchez. Pour la troisième année consécutive, les parlementaires ont ainsi échoué à faire voter un budget pour le pays.
Le Premier ministre pourrait-il se contenter d’une telle situation ? Le dirigeant a pour lui de très bons résultats économiques. La croissance va tutoyer les 3 % en 2025, à la faveur d’un secteur touristique florissant, de l’immigration légale incitée par Madrid et de fonds du plan de relance européen – dont a largement bénéficié l’Espagne – investis de manière pertinente. "L’absence de budget peut même, à court terme, s’avérer paradoxalement bénéfique : certaines dépenses ne pouvant être modifiées, la dépense publique n’augmente pas, ce qui peut contribuer à contenir, voire à réduire, le déficit", expliquait le professeur d’économie à l’IE University de Madrid, Juan Carlos Martinez Lazaro, dans un entretien accordé au Monde le 21 décembre. Le taux de chômage toujours élevé (autour de 10 %) et la crise du logement contrebalancent néanmoins ce bilan économique plutôt positif.
L’année 2026 risque d’être décisive pour l’avenir de Pedro Sánchez et de son équipe. Plusieurs élections régionales y seront organisées en Aragon, en Andalousie et en Castille-et-León. De nouvelles déconvenues socialistes mettraient véritablement à mal le socle gouvernemental centré autour du PSOE. Pendant ce temps, les adversaires du Premier ministre, eux, restent en embuscade. Dans un article, El País prédit les douze prochains mois à venir comme "l’année de la tempête parfaite pour le gouvernement". "Dans l’opposition, le PP et Vox pensent que Sánchez va tomber comme un fruit mûr et que la droite va faire une entrée fracassante à La Moncloa avec une forte majorité et une faiblesse de la gauche, qui lui permettra de rêver d’y rester plusieurs années", écrit donc le grand quotidien national. Et ce quitte à attendre, en 2027, le départ du socialiste… qui n’a pas renoncé à refaire acte de candidature pour un nouveau mandat.