“Animal” : spleen et nuits sans sommeil au cœur du tourisme ultralibéral
C’est d’abord l’histoire d’un lieu. Ou plutôt d’un non-lieu. Un grand espace hôtelier, déjà au centre des récents Aftersun et How to Have Sex qui racontaient en souterrain le règne du capitalisme mondialisé et ses conséquences sur l’aménagement d’un espace balnéaire. Après Park (2020), son premier film qui montrait les vestiges du village olympique d’Athènes après les Jeux de 2004, la cinéaste grecque Sofia Exarchou poursuit son approche topographique, qu’elle étend ici à l’étude du tourisme de masse.
Kalia (Dimitra Vlagkopoulou) est l’une des principales animatrices d’un hôtel grec all-inclusive. À l’intérieur de ce collectif de salarié·es, qui évoque une troupe de cirque condamnée à divertir éternellement, Kalia a beau connaître par cœur les rouages du métier rythmé par ses shows, son équilibre commence à tanguer, épuisée par l’enchaînement de nuits d’ivresse. Construit comme une spirale, le récit d’Animal nous aspire, un rouleau compresseur tout en répétition, telle une interminable gueule de bois, et saisit avec une lucidité toujours tendre cette vie sans sommeil. Pour Kalia, consumée par le chagrin, le travail devient le seul moyen de ne pas trop se faire dévorer par ses émotions, de penser à autre chose.
Le grand manège du vide
Évoquant le spleen d’une génération décrit avec force dans Rien à foutre d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, le film de Sofia Exarchou semble moins là pour décrypter comment les structures enchaînent les acteur·rices du l’ultralibéralisme que pour regarder les effets qu’il produit sensiblement, chimiquement, sur les travailleur·euses. Télescopant avec une grande aisance toute une palette d’émotions contradictoires, la performance de Dimitra Vlagkopoulou fait ressortir magistralement les ruptures de son personnage.
Au cœur d’un business où chaque animateur·rice n’est que le maillon de cette grande chaîne de divertissement, et malgré la chaleureuse entraide qui règne entre les membres de l’équipe, le corps craque sous les effets toxiques et aliénants du travail, aspiré par le vide de ce grand manège où il faut sans cesse porter un nouveau masque. Tout jouer, endosser tous les soirs un nouveau costume et bientôt ne plus savoir qui se cache derrière.
Animal de Sofia Exarchou, avec Dimitra Vlagkopoulou, Flomaria Papadaki, Ahilleas Hariskos (Gr., Aut., Bul., Rou., Chy., 2023, 1h56). En salle le 17 janvier.