Petite enfance : Borne promet 200.000 places et 5 milliards d'euros en plus, les professionnels pas convaincus
Face aux capacités d’accueil insuffisantes et à la pénurie de personnel qui minent le secteur de la petite enfance, le gouvernement met "plus de 5 milliards d’euros" sur la table. Mais les professionnels restent sceptiques.
"Préparer l’avenir de notre pays", "dire le modèle de société auquel nous croyons", "affirmer que les inégalités doivent être traitées dès les premiers mois de la vie" : au moment d’annoncer son plan pour la petite enfance, ce jeudi, depuis Angers, Élisabeth Borne a largement insisté sur la dimension politique, voire philosophique, du sujet.
La feuille de route de la Première ministre tient en un "principe simple" – "simpliste", corrigent plusieurs acteurs mécontents : "plus de places, plus de personnel, plus de qualité". Engagement est notamment pris d’accueillir 100.000 enfants supplémentaires en France d’ici 2027, et 200.000 d’ici 2030 (*), afin d’éviter que "des dizaines de milliers de parents renoncent à un emploi ou à un plein-emploi", faute de solution de garde adaptée. Ce bond capacitaire sera financé par le déblocage de "plus de 5 milliards d’euros supplémentaires" sur la période 2023-2027, a précisé la cheffe du gouvernement.
"Mensonge""Les chiffres paraissent impressionnants à première vue, mais dans les faits, rien ne sera résolu!", oppose Lucie Robert, co-secrétaire générale du syndicat national des professionnels de la petite enfance, qui accuse même l’exécutif de « mentir aux Français ».
"Ils parlent d’ouvrir des dizaines de milliers de places alors qu’il manque déjà 10.000 professionnels dans les structures existantes ! Non seulement c’est en décalage complet avec la réalité du terrain, mais cela peut pousser certains à sortir des clous et à dépasser le taux d’encadrement minimal exigé. Si vous avez encore plus d’enfants et toujours pas assez d’adultes pour les encadrer, c’est un vrai risque".
Photo Jeremie Fulleringer
Elsa Hervy, déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches, partage la même inquiétude. "Tout cet argent ne sera utile que si un effort important est fait sur la formation des professionnels. Pour parvenir à ces 200.000 places d’accueil supplémentaires, il faut 100.000 nouvelles places dans les écoles. Pour l’instant, je ne les vois pas", regrette-t-elle, tout en saluant "une première pierre".
"Exigence absolue" sur le terrain de la "maltraitance"Autres mesures annoncées à Angers : des modifications dans l’attribution des aides versées par la Caf, à l’horizon 2025, afin d’"harmoniser le reste à charge" pour les familles contraintes de confier leur bambin à des assistantes maternelles, une solution souvent plus onéreuse ; l’augmentation des responsabilités et des moyens donnés aux communes pour organiser des modes de garde adaptés à l’échelle locale ; ou encore le "renforcement des capacités d’alerte, de contrôle et de suivi" des structures.
"Nous devons faire preuve d’une exigence absolue » pour assurer « la confiance des parents", a martelé sur ce point la Première ministre. Façon, sans doute, de répondre au rapport cinglant rendu en avril par l’Igas, qui alertait sur une "maltraitance institutionnelle" dans le secteur de la petite enfance et dressait même un parallèle inquiétant avec les dérives dans les Ehpad.
"49 % des crèches du pays tournent avec au moins un poste vacant, reprend Elsa Hervy. Bien sûr, il existe des dysfonctionnements individuels qui sont inacceptables et doivent être sévèrement sanctionnés. Mais le plus souvent, ces errements sont directement liés à la pénurie de personnel, qui provoque surcharge de travail et épuisement."
"Si l’on se contente d’effets d’annonce, tout le monde sera perdant. On ne répondra pas à la dégradation de nos conditions de travail et on ne rassurera pas les parents", abonde Lucie Robert, auxiliaire de puériculture dans la Marne. "Pour un papa ou une maman, conclut-elle, c’est quand même plus sécurisant de laisser son enfant dans un lieu avec du personnel en nombre suffisant et correctement formé, non ?"
Stéphane Barnoin
(*) Contre 458.000 places en crèche et de 770.000 auprès d’assistantes maternelles aujourd’hui.
Un déficit de reconnaissance
Le manque d'attractivité des métiers de la petite enfance reste lié, en grande partie, à des rémunérations trop faibles. "Nous entendons les attentes des professionnels. Des concertations sont en cours", a fait savoir ce jeudi Elisabeth Borne.Du côté de la Fédération française des entreprises de crèches, Elsa Hervy juge impératif d'ouvrir au plus le chantier du "déficit de valorisation" de la profession. "Encore trop de gens pensent que l'on garde des animaux! Les 1.000 premiers jours de la vie d'un enfant sont primordiaux pour son développement, il est donc essentiel que l'importance de notre travail soit reconnue. Ce changement de regard passe par une revalorisation salariale. Nous attendons les propositions du gouvernement d'ici la fin du mois de juin. Il se doit d'être au rendez-vous".