Karine Rossignol (Smart Immune) : " L'entrepreneuriat, c'est croire en soi et son projet "
Booster le système immunitaire de patients atteints de cancer ou d'infection sévère grâce à la thérapie cellulaire, telle est l'innovation de Smart Immune, la biotech dirigée par Karine Rossignol. Expérience personnelle, réseau et quête de sens ont posé les bases de son projet entrepreneurial. Karine Rossignol a d'ailleurs été lauréate du prix Business with Attitude 2024, qui récompense les femmes chefs d'entreprise les plus prometteuses.
Quand un patient est atteint d'un cancer, par exemple, son système immunitaire est au plus bas. Pour accélérer le processus de guérison, la biotech Smart Immune travaille sur une thérapie cellulaire, qui vise à créer des lymphocytes T sous la forme de super combattants, capables de repérer les éléments pathogènes. A l'origine de cette biotech, trois femmes : les chercheuses Isabelle André et Marina Cavazzana et la CEO Karine Rossignol. Cette dernière a remporté le prix Business with Attitude et espère ainsi servir de role model à toutes les femmes qui aimeraient franchir le pas de l'entrepreneuriat. Rencontre.
Big Média : Smart Immune est une biotech qui permet de redonner un système immunitaire fonctionnel aux patients pour lutter contre tumeurs et pathogènes. Concrètement, en quoi consiste son innovation ?Karine Rossignol : On estime qu'en 2050, plus de la moitié des thérapies seront d'origine biologique, soit grâce à des protéines issues du vivant, soit grâce à des cellules vivantes. C'est pourquoi Smart Immune utilise non pas des molécules chimiques, mais des cellules vivantes pour faire un reset du système immunitaire. Nous mettons dans nos médicaments des progéniteurs des lymphocytes T, les ProTcell. Cette thérapie innovante s'appuie sur le pouvoir du thymus, une glande peu connue située dans la partie supérieure du thorax et qui est capable d'éduquer ces progéniteurs. Ces derniers se transforment alors en généraux du système immunitaire qui patrouillent et qui sont capables de reconnaitre quand un ennemi est passé dans une cellule, c'est-à-dire un pathogène, un virus, une bactérie encapsulée voire une tumeur, pour les éliminer. Ainsi, les super combattants que sont devenus les lymphocytes T sont capables de faire un 'reset' du système immunitaire, de le réarmer et ce en quelques semaines, alors que cela nécessite habituellement 18 mois. Rien qu'en Europe et aux Etats-Unis, chaque année, il y a 90 000 patients qui ont besoin d'un tel 'reset' du système immunitaire. Mais le potentiel thérapeutique de notre approche est bien plus vaste. En immuno-oncologie (soit le rôle que joue le système immunitaire dans la lutte contre le cancer, ndlr) par exemple, des traitements parmi les plus avancés nécessitent pour être efficaces que le patient dispose d'une quantité suffisante de lymphocytes T fonctionnels. Et là, on parle d'un marché qui peut aller jusqu'à 240 milliards de dollars en 2030.
BM : Vous avez co-fondé Smart Immune en 2017, avec Isabelle André et Marina Cavazzana. Comment en êtes-vous venue à l'entrepreneuriat ?KR : J'ai monté ma première entreprise en 1999, une sorte de Sephora.com, en Angleterre. Puis j'ai longtemps été salariée, dans le luxe et dans la cosmétique, en passant par L'Oréal et Chanel notamment. Mes aspirations ont ensuite changé. Et est arrivé le moment dans ma carrière où je voulais faire quelque chose qui ait du sens.
Enfant, j'avais eu une maladie auto-immune, un lupus. C'est donc un sujet auquel je suis toujours très sensible. J'ai même songé à reprendre mes études de médecine ! Je suis donc allée demander conseil au médecin de l'hôpital Necker qui m'avait soignée pendant vingt ans. Sa réponse ? " Je monte un institut, j'ai besoin de quelqu'un comme toi. " J'ai donc quitté mon poste pour cofonder l'Institut Imagine, dédié aux maladies génétiques. En 10 ans, nous avons levé 183 millions d'euros pour construire cet institut et rassembler les meilleurs médecins chercheurs autour des patients. C'est là que j'ai rencontré Isabelle André et Marina Cavazzana, deux chercheuses exceptionnelles à l'origine des ProTcell. Elles m'ont proposé de les rejoindre pour apporter leur innovation aux patients le plus rapidement possible. Smart Immune était née !
BM : Où en est Smart Immune aujourd'hui ?KR : Actuellement, Smart Immune emploie une trentaine de salariés. Notre principal candidat médicament, Smart101, est produit à Paris au Centre Meary, et étudié dans des essais de phase I/II aux États-Unis et en Europe, chez des adultes atteints de leucémie aigue et des bébés souffrant de SCID, aussi appelés bébés-bulles. Tous les résultats préliminaires pointent dans la bonne direction, avec une excellente tolérabilité et des données de reconstitution immunitaire parfois satisfaisantes dès le 60e jour au lieu du 100e. Nous devons confirmer ces résultats avec la poursuite des essais. Nous avons d'ailleurs récemment traité le premier patient adulte à la troisième et dernière dose de notre essai ReSET-02 dans la leucémie aigue.
Dans l'indication SCID (déficit immunitaire combiné sévère), si les résultats sont concluants, nous pourrions accéder au marché dès 2026 et commencer à générer des revenus.
BM : Comment comptez-vous faire encore grandir l'entreprise ?KR : Nous avons été la première société française à être financée en equity par la Fondation Bill & Melinda Gates l'année dernière. Ils se sont engagés avec nous à hauteur de 5 millions d'euros, car notre technologie peut dévoiler de nouvelles façons d'envisager l'immunologie : c'est la première fois qu'on est capable de réveiller le thymus d'un patient, soit le camp d'entrainement du système immunitaire. Nous sommes aussi soutenus par le très sélectif Conseil de l'innovation européen. Désormais, nous étudions le changement d'échelle de la production de nos médicaments, en nous rapprochant de grands groupes français comme Seqens. En vitesse de croisière, nous aimerions soigner 6 000 patients par an.
BM : En mars 2024, vous avez remporté le prix Business with attitude, qui récompense les femmes entrepreneures. Comment valoriser l'entrepreneuriat féminin selon vous ?KR : Je pense qu'il est important de donner aux jeunes femmes l'envie de se lancer. Souvent, elles n'osent pas, peut-être découragées par un chiffre : 2%. En Europe et aux Etats-Unis, les fondatrices de startups ne concentrent que 2% des fonds levés. Pourtant, les études ont montré que les start-ups dirigées par des femmes génèrent davantage de valeur et un retour sur investissement nettement supérieur. Les choses bougent. Le prix BWA, d'ailleurs, est là pour montrer que c'est possible. Bien sûr, tout ne fonctionne pas du premier coup. Mais il faut se rappeler que les entrepreneurs qui réussissent, ce sont ceux qui ont sauté dans le train en marche plusieurs fois, qui se sont loupés, mais qui y sont retournés. C'est ça l'entrepreneuriat : il faut croire en soi et croire en son projet.
BM : Pourriez-vous vous voir comme un mentor pour ces jeunes femmes ?KR : Bien sûr, j'essaie de le faire ! Auprès d'étudiantes en pharmacie, à SciencesPo ou ailleurs. J'essaie d'assurer ce rôle auprès de mon équipe, que j'incite à se montrer, à s'exprimer. Dans l'univers scientifique, et de plus celui des startups, vous défrichez sans cesse de nouveaux champs des possibles. Les futurs talents, les entrepreneur(e)s de demain, sont nécessairement présents. Il faut les aider à émerger.
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