Harcèlement scolaire, autorité bousculée, difficultés à recruter… Les réponses de la ministre Nicole Belloubet

Pour sortir l’école de la République de ses turbulences, la ministre de l’Éducation nationale a fait le choix du « travail en profondeur » et de la discrétion.

L'ancienne garde des Sceaux a pris la tête, le 8 février, d’un ministère de l’Éducation nationale dans la tourmente après les « couacs » en série d’Amélie Oudéa-Castéra, qui avait réussi, en moins d’un mois, à se mettre la communauté éducative à dos.

Quand on demande à Nicole Belloubet la raison pour laquelle elle a accepté ce challenge dans un contexte aussi tendu, la réponse fuse : « Parce que je suis professeure, c’est mon métier. Je sais à la fois la richesse de ce que l’éducation peut apporter à tous les jeunes et, évidemment, les difficultés que nous avons à surmonter. L’école de la République accueille tous les enfants de France en âge d’être scolarisés, quelle que soit leur condition socio-économique, quelle que soit leur singularité. Elle a donc des défis à relever dans la prise en charge de toutes ces différences. »

Par-delà des convictions profondes, les propos de la ministre paraissent clore la séquence clivante de sa prédécesseure, qui avait bien failli, par ses maladresses, relancer la guerre scolaire.

Photo Patrick Hertzog/AFP  

Contrairement au médiatique Gabriel Attal, adepte des coups d’éclat, Nicole Belloubet cultive, au ministère, une certaine discrétion. Est-ce un style ou bien une arme ? « Les deux », répond-elle du tac au tac. « C’est un style d’abord car je suis certaine que nous avons besoin d’actions en profondeur. Par ailleurs, j’estime que travailler sur le long terme, travailler en étant dans une relation de proximité avec le métier d’enseignant et avec l’école publique, c’est aussi une manière de la faire avancer. »

Manifestement plus à l’écoute que l’actuel Premier ministre, la locataire de la Rue de Grenelle, dès son arrivée, a privilégié le dialogue avec les enseignants, parlant, par exemple, de groupes de besoin au collège plutôt que de groupes de niveau. Un changement de ton qui accompagne un changement de méthode ?

« Non, je ne suis pas en opposition, affirme-t-elle. Pour que les réformes voulues par mes prédécesseurs et par Gabriel Attal, notamment, autour du choc des savoirs, puissent être appliquées, je réaffirme le même objectif principiel : faire progresser tous les élèves. J’y applique une même méthode : la constitution des groupes dans tous les établissements scolaires en français et en maths en sixième et en cinquième. Et des groupes qui répondent aux besoins des élèves. Ces mesures visent à apporter un meilleur encadrement aux élèves qui ont le plus de difficultés, c’est l’inverse du tri social que certains agitent. Les élèves ne seront pas assujettis à un groupe, les groupes pourront être revus à différentes périodes de l’année. Je fais confiance aux chefs d’établissements, à leur pilotage adapté aux différents contextes, pour que, réellement, la méthode puisse s’appliquer. »

Dans souplesse, doit-on entendre autonomie ? « On ne met pas en place les dispositifs prévus de la même manière dans un collège qui a deux classes de sixième et un collège qui en compte sept ou huit. Vraisemblablement, les publics sont différents, le cadre dans lequel s’inscrit le collège aussi. »

On ne peut pas définir depuis Paris un schéma qui devrait s’appliquer de la même manière partout. Il y a un cadre valable pour tous. Mais c’est à chaque établissement de trouver la méthode la plus appropriée au public qu’il reçoit.

À peine installée, Nicole Belloubet a eu à gérer, en avril, les conséquences sur l’institution de plusieurs agressions extrêmement violentes aux abords de collèges, dont une qui a coûté la vie à un adolescent de 15 ans. Sur le terrain de l’autorité, Nicole Belloubet plaide pour une voie plus éducative que répressive qui contraste avec une opinion publique de plus en plus tentée par une justice expéditive.

La ministre de l’Éducation nationale s’est ainsi prononcée contre la levée de l’excuse de minorité en cas de délit d’un adolescent, alors que Gabriel Attal a ouvert le débat. « J’ai fait part à l’époque d’une position personnelle, je ne prétends pas parler au nom du gouvernement, assume-t-elle. Je rappelle que les magistrats peuvent toujours lever l’excuse de minorité, à titre exceptionnel, le Premier ministre a souhaité un débat sur le fait de savoir si on doit déplacer le curseur. Pour ma part, j’émets le souhait que la majorité pénale corresponde à la majorité civile, autrement dit à 18 ans. Après, on peut toujours réfléchir à abaisser la majorité civile, mais c’est un autre débat. »

Après la démission, fin mars, du proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel, menacé de mort suite à une altercation avec une élève pour qu’elle enlève son voile, Nicole Belloubet avait annoncé la création d’une force mobile scolaire réunissant des personnels de vie scolaire, des assistants d’éducation, des psychologues… 

Elle sera lancée à la rentrée scolaire, confirme la ministre. « Il existe au niveau académique des équipes mobiles de sécurité, qui peuvent prêter aide et assistance dans les établissements scolaires, soit 550 personnes. Nous venons les appuyer au niveau national en affectant vingt emplois à cette nouvelle force mobile. Elle pourra, suivant les difficultés rencontrées, être projetée pendant quinze jours, trois semaines, le temps que la situation de l’établissement revienne à la normale. »

Photo Patrick Hertzog/AFP

Le 3 mai, Nicole Belloubeta ouvert une « grande concertation sur le respect de l’autorité » à l’école, associant organisations syndicales, chefs d’établissements, parents d’élèves… Mais sur ce terrain-là, on pressent que l’arbitrage se fera en haut lieu. Le dossier est de toute évidence dans les mains de Matignon puisque c’est Gabriel Attal qui se chargera des annonces, « assez rapidement », croit-elle savoir.

Le harcèlement scolaire est une autre préoccupation pour la ministre de l’Éducation nationale puisqu’un élève par classe en moyenne en est victime. « Depuis un an, nous avons déployé un plan qui comprend un baromètre du harcèlement scolaire, lequel évalue la situation dans chaque classe pour repérer d’éventuels cas de harcèlement. Tous les personnels sont ou seront prochainement formés à la prévention et à la détection des situations de harcèlement. Par ailleurs, des référents sont identifiés dans chaque établissement. Et nous dédions des emplois spécifiques dans chaque Académie – 150 nouveaux postes ont été ouverts à la précédente rentrée – ils ont pour mission de traiter les situations les plus délicates. Il existe aussi un numéro unique, le 3018, qui répond à tout moment, notamment pour supprimer des contenus sur internet. Et nous indemnisons les personnes, infirmières ou professeurs référents, qui nous aident dans la lutte contre ce fléau. »

Un fléau qui se nourrit et se propage le plus souvent à l’extérieur de l’école. Dès lors, comment endiguer cette spirale ? 

« Sur la question des réseaux sociaux, le président de la République nous a donné un mois pour proposer des mesures pour un bon usage des écrans par nos enfants. Le rapport de la commission lancée par le chef de l’État envisage notamment un contrôle par les parents de l’utilisation des réseaux sociaux pour les enfants de moins de 15 ans. Nous allons voir si cette proposition peut prospérer. À titre personnel, j’y suis favorable. Je souhaite aussi une pause numérique au niveau du collège avec l’idée que les enfants ne puissent effectivement pas entrer dans l’établissement avec un téléphone portable. Cela me semble très important pour pouvoir concentrer l’attention de nos élèves sur les enseignements et sur la maîtrise des apprentissages. Je travaille sur ce sujet-là pour qu’il soit opérationnel au moins à titre expérimental à la rentrée prochaine. »

Nicole Belloubet se prépare déjà à devoir combler le manque d’enseignants dans les écoles se profilant pour septembre. Pour redonner de l’attractivité au métier, elle élabore une réforme de la formation initiale. Mais comment recruter du sang neuf sans revalorisation salariale digne de ce nom ?

« Ce déficit d’attractivité des enseignants est un phénomène européen. Cela montre que les modalités de rémunération, seules, ne sont pas suffisantes pour répondre à l’enjeu. Ensuite, je constate que la rémunération de nos enseignants est passée depuis 2017 d’à peine 1.500 euros nets en début de carrière à 2.100 euros nets. Il me semble que l’un des vecteurs d’attractivité est de proposer à nos jeunes étudiants un parcours clair et ambitieux. C’est ce que nous redessinons, notamment avec une formation spécialement dédiée au professorat des écoles. »

Pour tous les futurs professeurs, du premier et du second degré, un concours à bac + 3 et une poursuite d’études de deux ans en master, rémunérée 900 euros la première année et 1.800 euros la deuxième année. À l’approfondissement des contenus disciplinaires, cette formation associera une pratique de terrain.

Retour en arrière, donc. On en revient, dans l’esprit, à une forme d’École normale. « Oui, c’est d’ailleurs son nom, voulu par le président de la République : École normale du XXIe siècle, poursuit la ministre. Nos enseignants doivent être préparés à l’accueil de la diversité des publics, qu’ils soient dotés des compétences et de la posture professionnelle pour asseoir l’autorité éducative. »

Le fait que l’Ecole ne soit plus aujourd’hui un sanctuaire, un havre de paix n’est-il pas aussi un frein au recrutement ? « Je ne nie pas les difficultés. Mais je rappelle que nous avons 50.000 écoles primaires, 11.000 établissements du second degré, 12 millions d’élèves. Contrairement à ce que certains élus ont parfois pu dire de façon honteuse, l’Ecole n’est pas un coupe-gorge !, s’anime Nicole Belloubet. C’est un lieu où dans une écrasante majorité les jeunes apprennent dans un cadre de sécurité. »

Six ans après son lancement, la plateforme Parcoursup continue de susciter la polémique, les principales critiques dénonçant une « égalité de façade » dans les vœux des lycéens. On a peu entendu Nicole Belloubet sur la question.

« Il y a sans doute des choses à améliorer, concède-t-elle.

Ce qui me frappe, c’est l’angoisse que génère parfois Parcoursup. Les lycéens finissent par être plus focalisés par cette plateforme d’admission dans l’enseignement supérieur que par le baccalauréat lui-même.

Depuis son lancement, Parcoursup a fait l’objet d’améliorations mais il y a sans doute des évolutions à apporter. Je vais m’y atteler et travailler avec ma collègue de l’Enseignement supérieur. C’est déjà ce que nous faisons avec le site d’entraînement qui vient d’être lancé, pour aborder plus sereinement la phase d’admission. »

Pour réduire le déficit colossal de la France, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a enjoint à des économies qui n’épargnent pas l’Éducation nationale. « L’Éducation nationale, c’est le premier budget de l’État avec 65 milliards d’euros. Depuis la réélection du président de la République, ce budget a augmenté de près de 8 milliards, indique la ministre. Nous procédons à des économies, principalement sur des fonds de réserve. Mais nous ne toucherons pas aux emplois, dont nous avons besoin. »