Bernard Lavilliers brûlant comme un soleil énorme avant son concert au Zénith d'Auvergne
L’homme du Soleil (les Stéphanois comprendront) revient avec Sous un soleil énorme. Bernard Lavilliers défend sur scène ce nouvel album et sa vision du monde qu’il ne connaît que trop bien. Il sera en concert vendredi 25 mars, à 20 h 30, au Zénith de Clermont-Ferrand
Bernard Lavilliers est revenu d’Argentine avec son 23e album, Sous un soleil énorme. On peut une nouvelle fois apprécier la clairvoyance et la plume. Sorti en novembre dernier, il est maintenant l’heure de le défendre sur scène et d’offrir, au passage, un peu de légèreté dans un monde irrémédiablement de brutes. Bernard Lavilliers conserve à ses côtés un orchestre de précieux et fidèles coloristes, afin de dessiner ses « musiques tropicales sur des causes perdues ». « Je ne rigolais pas quand j’avais dit ça à Mitterrand, qui m’avait d’ailleurs répondu : “Gardez-le Bernard, c’est un excellent titre” ». Ses interviews sont un peu comme ses chansons, avec du sens, du rythme, des vagabondages, de belles mises au point… Surtout quand, à 75 ans, on tient une forme pareille.
Toujours le même monde, toujours les mêmes thèmes, toujours les mêmes rythmes mais jamais les mêmes chansons…« J’ai écrit la moitié de l’album à Buenos Aires. Et j’ai tout simplement trouvé dans cette ville énorme tout ce que j’avais vu ailleurs. Elle est bouffée par la corruption, la misère, l’ultra richesse de gens arrivés il y a bien longtemps d’Italie, d’Allemagne, d’Espagne. À leurs pieds, on voit des Indiens mapuches d’un côté, des Guaranis de l’autre mais pas un noir. Un militant d’extrême gauche que je connais bien m’a expliqué pourquoi : ils les ont tous tués ou envoyés en face, en Uruguay, dans les années 1920. Tout cela est vrai, j’ai vu une petite plaque ridicule qui parlait de ce génocide par le général je-sais-pas-qui à Buenos Aires. C’est ce qui fait aussi qu’il n’y a pas de mixité dans ce pays. Voilà déjà quelques chansons. Et puis, quand je suis arrivé là-bas, le peso avait déjà chuté de 20 % par rapport au dollar. Quand je suis reparti, il avait perdu encore 50 %… Alors les Ruskofs peuvent se plaindre mais, là-bas, il y a peut-être 100 % d’inflation dans l’année. »
Si vous ouvrez le dossier Ukraine tout de suite… J’image que le sage voyageur que vous êtes n’est pas surpris de la situation ?« Ce n’est pas pour ça que ça me fait plaisir mais, effectivement, on a vu ça ailleurs. Comment va le monde, il est rouge sang… Après bien des années d’errance/Et de silence embarrassé/Des hommes n’ont toujours pas de nationalité. J’ai écrit ça il y a trente ans. De la même manière, il y a eu Noir et Blanc en 1986, alors qu’ils venaient de taper avec leurs grandes matraques sur un petit Marocain qui n’avait déjà pas une grande santé. Alors il est mort, il y avait du sang sur le trottoir. Évidemment que, tout à coup, ça prend une autre gueule. Et la chanson que je vais interpréter à Clermont-Ferrand, la toute dernière : Si la démocratie peut tomber en dix heures/Si les banques surnagent/Attendant le naufrage… On y est là ou pas ? Je comprends d’autant plus la situation actuelle en Ukraine que je reviens d’Amérique du Sud. Mais c’était pareil au Vietnam dans les années 90, aux Philippines, sur la mer du Chine ou au Moyen-Orient… Depuis fort longtemps, il y a une effervescence contre les Occidentaux et les capitalistes, avec un joyeux mélange entre les uns et les autres. C’est même pas politique, c’est contre un mode de vie et d’arrogance. »
Vous n’êtes pas usé de faire ce constat depuis plus de cinquante ans ? Et d’assister à la défaite de la parole de l’artiste ?« ll y a des grands philosophes ou sociologues, comme mon ami Bourdieu, qui ont dit bien mieux et bien pire, mais personne ne les a calculés, si ce n’est quelques étudiants ou intellectuels. Je ne suis pas moi-même à genoux devant eux car ce n’est pas mon genre d’idolâtrer, j’aime bien penser par moi-même.
« D’ailleurs les penseurs n’existent plus vraiment : BHL, vous prenez ça pour un philosophe ? Non franchement ! Les va-t-en-guerre en chemise blanche achetée 600 balles à Londres, ça me gonfle. »
Mais quand je relis Le cauchemar climatisé d’Henry Miller ou Les Mots de Sartre, ça me touche intensément. Tout comme des chansons de Léo Ferré, Bob Dylan ou Jim Morrison. Elles ne peuvent pas changer le monde, mais elles ont changé mon existence un petit peu et, sans doute, celles de quelques autres. Et c’est déjà ça. »
Et si vous deviez garder une chanson de vous qui a ce pouvoir…« Celle écrite et chantée pendant la grève des laminoirs à Florange. Quand j’ai vu les gars pleurer sur le chantier, je me suis dit : “Tiens, pour une fois, tu n’as pas écrit une connerie”. Les Mains d’or, c’est devenu autre chose qu’une petite chanson effectivement. »
Même si la priorité c’est la tournée, l’actualité doit bien vous inspirer un peu ?« Je prends des notes et en premier lieu sur les invraisemblances des politiques internationaux et des nôtres, qui sont toujours bien placés pour dire de belles bêtises et leur contraire la semaine suivante.
« La pirouette de Mélenchon n’est pas mal dans le genre : lui qui aimait tellement Poutine, il ne l’aime plus aujourd’hui. Ça me fait hurler de rire.»