"Elizabeth II, une femme qui a tout sacrifié à son devoir", confie l'animateur Stéphane Bern
Stéphane Bern, journaliste, animateur et spécialiste des monarchies, revient sur la disparition de la reine Elizabeth II. La fin du règne hors du commun d'une "femme qui a tout sacrifié à son devoir". Interview.
La reine Elizabeth II, disparue ce jeudi 8 septembre 2022 à l’âge de 96 ans, laisse une empreinte indélébile sur la monarchie britannique aux yeux de Stéphane Bern, journaliste et spécialiste des monarchies.
Avec 70 ans passés sur le trône, Elizabeth II était la plus ancienne cheffe d’Etat sur la scène internationale. Quel regard portez-vous sur son règne ?
Lorsqu’elle est montée sur le trône en 1952, on a parlé d’une nouvelle ère élisabéthaine. C’est donc une ère qui disparaît, une page d’histoire qui se tourne, toute une époque. On voit bien, d’ailleurs, que c’est un autre monde qui commence. Un monde où, finalement, je ne suis pas sûr qu’elle avait sa place. Avec les mœurs politiques, les coups tordus… Elle est le symbole d’un monde qui disparaît. On peut le regretter. Ce qui me touche, c’est qu’Elizabeth II était une femme de devoir, plus que tout, c’est une femme qui a tout sacrifié à son devoir, à une époque où cela ne se fait plus. Les gens veulent être heureux. Elle ne se souciait pas d’être heureuse, elle se souciait de faire son devoir et d’accomplir sa destinée. Ce qui la rendait satisfaite.
"Elle a donné pendant 70 ans le sentiment aux Britanniques que tout allait bien"Elizabeth II semblait être le rempart imperturbable de la monarchie britannique...
Peut-être a-t-elle pu couvrir de son manteau d'hermine, et c’est le rôle des monarques, la désunion du Royaume-Uni. On voit que l’Écosse voudrait faire sécession, que l’Irlande du Nord pourrait rejoindre l’autre Irlande, il y a aussi les partis politiques qui se déchirent… Elle a donné pendant 70 ans le sentiment aux Britanniques que tout allait bien tant que « maman » était là. Et là, tout à coup, c’est la mère de la nation, la grand-mère du peuple, qui disparaît. Les gens se sentent un peu orphelins et se demandent « que va-t-il nous arriver ? ». Ils vont désormais être confrontés à une réalité qui ne va possiblement pas leur faire plaisir.
La reine Elizabeth II est morte à 96 ans
C'est aussi la disparition d'une forte personnalité. Quelle femme était-elle derrière la monarque ?
Il faut savoir qu’il s’agit de la dernière monarchie sacrale. La reine a été sacrée par les cinq huiles en l’abbaye de Westminster en 1953, lors de son couronnement. C’est donc une figue morale, quasi mystique et religieuse. Mais la vraie Elizabeth II, peu de gens la connaissent. C’était une femme dans le fond assez ordinaire et simple, mais qui a été placée par l’histoire dans une situation extraordinaire. Elle aimait les chiens, les chevaux, la campagne. Elle avait des goûts simples, pas des goûts de luxe. Elle ne partait pas en vacances aux Bahamas comme le font ses enfants ou ses petits-enfants. Elle préférait se rendre dans son château écossais. Par ailleurs, elle ne voulait pas trop de dépenses de chauffage, elle disait « mettez un pull si vous avez froid »… Toute cette simplicité plaisait aux Britanniques.
La reine Elizabeth II en chiffres
Pour le prince de Galles, devenu aujourd'hui le roi Charles III à l'âge de 73 ans, le défi est important. Existe-t-il un risque d'effritement pour la monarchie britannique selon vous ?
Non, l’institution n’est pas fragile. Les gens se sont réunis devant Buckingham, jeudi soir, et ont crié « Long live the king », c’est-à-dire « Vive le roi ». Donc ce n’est pas la question. Maintenant, le roi Charles monte sur le trône avec beaucoup d’expérience. Il va devoir retisser les liens entre tous ces gens qui ont pu être séparés, entre travaillistes et conservateurs, les pros et anti-Brexit, les pros et anti-vaccin… On n’imagine pas la désunion de la nation. Il va devoir réexpliquer ce que veut dire faire nation, vivre ensemble. C’est son rôle de monarque et le défi est immense. Mais Charles est un personnage très intéressant, un véritable intellectuel. On verra si ça passe ou pas.
"Ce qui m’a frappé, c’est son humour"Vous avez eu l'occasion de rencontrer Elizabeth II. Quel souvenir en gardez-vous ?
Je l’ai rencontrée un certain nombre de fois, mais surtout, lors de sa dernière visite, en 2014. J’ai eu la chance, à ce moment-là, qu’elle me décore de l’ordre de l’empire britannique et j’ai pu parler avec elle. Ce qui m’a frappé, c’est son humour, notamment. Elle me dit : « Je crois que vous avez fait une émission sur mon aïeule, la reine Victoria ! » J’ai répondu : « Mais vous savez que j’ai fait une émission sur vous également ». « Vraiment, me dit-elle, mais vous savez que je suis encore vivante ! ». J’ai alors conclu en lui expliquant qu’elle est entrée dans la légende de son vivant. Lors de cette cérémonie, j’avais droit à quatre invités. Il y avait mon père. Le hasard fait que j’ai perdu mon père, cette année, et maintenant la reine Elizabeth II. Cela me touche de voir les deux géants de ma vie disparaître.
Mon père avait dit à la reine cette chose que je trouve merveilleuse : « Je suis tellement content de vous rencontrer, car depuis que Stéphane est petit, il ne parle que de vous ». Cela pour dire qu’Elizabeth II était aussi accessible et avait de l’humour. Elle nous disait : « C’est merveilleux, dans les pays républicains comme la France, je suis toujours très bien accueillie par des gens encore plus enthousiastes. » Cela nous avait amusés.
Simon Dechet