En grève, des médecins généralistes comptent fermer leur cabinet à Aurillac (Cantal) durant deux jours

Jeudi 1er et vendredi 2 décembre, de nombreux médecins généralistes libéraux n’ouvriront pas leur cabinet, à Aurillac (Cantal). S’ils ferment ainsi boutique, c’est d’abord pour réclamer une revalorisation de la consultation. Mais au-delà de cette revendication financière, les professionnels de santé veulent voir reconnue « la valeur de leur métier ». Ils décrivent un quotidien surchargé par la lourdeur des tâches administratives.

Pour la première fois de sa carrière, il va faire grève. Jeudi 1er et vendredi 2 décembre, le docteur Paul-Victor Lebrou n’ouvrira pas son cabinet médical de la rue Raymond-Cortat, à Aurillac. Et les deux autres généralistes, qui exercent à ses côtés, participent aussi au mouvement, comme de nombreux libéraux.

« C’est une lame de fond, un sentiment de ras-le-bol », lance le Dr Lebrou, évoquant un « travail qui se complexifie », un quotidien surchargé par « l’administratif », la « pression fiscale » ou plus globalement, « le manque de liberté d’exercice ».

Afin d’illustrer le tout, ce médecin aurillacois prend souvent un exemple. « Ma marotte », sourit-il. Pour essayer de donner un coup de fouet à son DMP, le Dossier médical partagé, une sorte de carnet de santé numérique peu utilisé en France, l’Assurance maladie distribue « une carotte pécuniaire » aux généralistes qui mettent à jour le dossier de leurs patients dans le nouveau logiciel. Installé en plein désert médical, le Dr Lebrou préfère consacrer son temps à la médecine plutôt qu’à ces tâches administratives. Il n’actualise donc pas ses DMP. « Mais je m’assois sur une hypothétique revalorisation salariale », déplore-t-il en pointant l’absurdité de la chose.

Sur Aurillac, le mouvement est très suivi : certains estiment la mobilisation à « 80 % ». Beaucoup de cabinets resteront portes closes, les 1er et 2 décembre. À Belbex, rue Jacquard, les quatre généralistes feront grève, tout comme deux médecins des Alouettes, rue d’Illzach, ou quatre libéraux de la rue Pierre-Jacobi.

Parmi ces derniers, le docteur Audrey Servier. Elle a envoyé une centaine de mails afin d’appeler ses confrères de la région à montrer leur mécontentement. « L’un des moyens de prendre plus de temps pour nos patients, expose-t-elle, passe par la revalorisation de la consultation. » Celle-ci n’a pas été augmentée depuis 2017 (de 23 € à 25 €). Mais « la moyenne européenne est à 50 €, indique la généraliste aurillacoise. Nous voulons être payés à l’acte. Et non pas à coups de forfait, selon le bon vouloir de la Sécurité sociale. »

Cette revalorisation financière leur permettrait d’investir pour leur cabinet. Dans du matériel… et surtout, de l’aide humaine. « Ce qu’il faut savoir, c’est qu’un généraliste, seul, n’a pas les moyens de se payer une secrétaire », alerte le Dr Servier. Cela peut donc décourager les jeunes médecins à s’installer dans les déserts médicaux. « Il faut redonner de l’attractivité à notre spécialité. À l’internat, le taux d’étudiants choisissant la médecine générale baisse en flèche », s’inquiète-t-elle.

Le transfert des compétences ne passe pas. « Au lieu de nous détacher du temps pour la médecine, le gouvernement veut déléguer les tâches. Infirmiers, pharmaciens… bientôt agents de poste », ironise le Dr Lebrou. « Il ne faut pas exagérer », rebondit le docteur Jacques Dalbin, président de l’association de médecins du bassin d’Aurillac et du Cantal. « La médecine générale a besoin d’une relation singulière avec le patient. On ne peut pas tout déléguer. Voir un patient tous les deux ans parce qu’entre-temps, il a vu un infirmier, puis s’apercevoir que l’on est passé au travers de quelque chose, c’est compliqué. Il ne faut pas aller trop loin. On arrive à la limite du système » des actes délégués.

« L’État nous demande de superviser. Au lieu d’être médecins, nous allons nous transformer en animateurs d’équipe médicale, résume le Dr Servier. Il est hors de question que l’on soit responsable d’actes que l’on ne réalise pas nous-mêmes. »

Autre demande émanant du collectif : en terminer avec la charge administrative inutile. « Les certificats médicaux pour tout et n’importe quoi », illustre le Dr Servier. Pour la crèche, pour le sport, pour l’assurance, les vacances, la croisière… « Nous perdons des heures de consultation à faire de la paperasse ! Pendant ce temps, je ne soigne pas les gens », se désole la généraliste aurillacoise. Simple mais efficace, une mesure aurait, selon elle, de l’effet : ne pas devoir aller chez son médecin pour un arrêt de travail de moins de trois jours. « Le signer en auto-déclaration, comme durant l’épidémie de Covid. Avec un quota géré par l’entreprise. »

La grève se démarque par une certaine spontanéité. Elle ne vient pas de nulle part, mais presque. « C’est parti du groupe Facebook “Médecins pour demain”, retient le Dr Lebrou. Les gilets jaunes des généralistes », formule-t-il. Outre les réseaux sociaux, les deux mouvements ont de commun cela qu’ils se revendiquent asyndicaux. À titre personnel, par exemple, Paul-Victor Lebrou n’est pas syndiqué mais fera grève.

Enfin, les praticiens se montrent solidaires des internes, opposés à l’adoption d’une quatrième année de médecine générale. Qui risque d’« aggraver la crise des vocations », d’après le Dr Servier. « Nous les soutenons. Ils ont déjà beaucoup donné à l’hôpital ; il ne faut pas trop leur en demander non plus, ajoute le Dr Dalbin. Cette quatrième année ne doit pas les rendre corvéables à merci. »

De mémoires de blouses blanches, une telle grève est rare. « Historique, qualifie le Dr Servier. Les médecins libéraux aussi nombreux, aussi soudés entre eux ? Depuis que je travaille, je n’ai jamais vu ça. »

Romain Blanc

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