Cancer : les vraies causes restent mal identifiées par la population
Après vingt ans de pédagogie et de journées mondiales contre le cancer, on pouvait espérer mieux. Mais c'est un fait : la population, dans son ensemble, identifie assez mal les vraies causes de cette maladie. Et ce manque de discernement touche particulièrement les adeptes des théories du complot, comme le suggère une étude, publiée en décembre dernier dans le British Medical Journal par des chercheurs espagnols.
"A l'origine, il s'agissait simplement d'un article scientifique décalé, comme on en voit traditionnellement dans le numéro de Noël de la revue britannique. Mais finalement, ce travail met le doigt sur un problème très sérieux", commente Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences, spécialiste du complotisme et auteur de l'essai Croiver, pourquoi la croyance n'est pas ce que l'on croit.
Entre janvier et mars 2022, les chercheurs espagnols ont mené une série de sondages sur plusieurs plateformes de discussion en ligne. Ils ont ainsi recueilli de nombreuses données sur le comportement et la santé des participants (préférence pour les médecines conventionnelles ou alternatives, attitude envers la vaccination contre le Covid-19, consommation de tabac ou d'alcool, poids… ) mais aussi sur leurs croyances vis-à-vis des causes du cancer ou de certaines hypothèses défendues par les complotistes comme la Terre plate ou l'existence des reptiliens.
L'analyse croisée de ces informations donne quelques résultats rassurants. Par exemple, les vraies explications de l'apparition des cancers (tabagisme, consommation d'alcool ou de viande rouge, coups de soleil, âge avancé, surpoids, antécédents familiaux…) sont dans l’ensemble mieux identifiées que les facteurs non avérés, comme boire dans des bouteilles en plastique, utiliser un four à micro-ondes, vivre à proximité de lignes à haute tension ou être exposé aux ondes 5G.
"L'étude confirme que le tabagisme est particulièrement bien admis comme cause de cancer dans l'ensemble de la société. Il est très rare de trouver des personnes qui le nient", constate Sebastian Dieguez. Mais en y regardant de près, nos connaissances générales sur les raisons de l'apparition de ce fléau paraissent pour le moins incomplètes voire fausses. Certaines causes, comme la consommation insuffisante de fruits et légumes, ne sont identifiées que par une petite fraction de la population.
Plus perturbant, une majorité de individus interrogés considère que les OGM ou les ondes 5G peuvent être responsables du cancer. Alors qu'un nombre moins important de citoyens pointent l'alcool comme cause possible. Et parmi ceux qui mettent de côté cette hypothèse, pourtant juste, on trouve notamment… des amateurs de boissons alcoolisées.
Les auteurs de l'article résument ce paradoxe : "Les personnes concernées ne se sentent pas vraiment en danger. Par exemple, nous avons observé une relation inverse entre l'âge et la croyance selon laquelle avoir plus de 70 ans constituait un facteur de risque de cancer. Nous avons observé un phénomène similaire pour l'obésité, le tabagisme passif et la consommation d'alcool".
Non, tout ne cause pas le cancer
Enfin, les scientifiques observent des différences importantes de connaissances selon les croyances des individus. Globalement, les personnes déclarant ne pas être vaccinées, être conspirationnistes et préférer les médecines alternatives décèlent moins bien les causes reconnues du cancer. Elles pensent également que certaines causes mythiques sont réelles.
"Ce n'est pas vraiment une surprise, estime Sebastian Dieguez. A partir du moment où une personne affirme adhérer à certaines hypothèses comme par exemple celle d'une Terre plate, on sait déjà que statistiquement, elle va adhérer à tout un tas d'autres théories du complot. Elle ne va pas seulement remettre en question l'astronomie ou la géologie. Elle aura aussi tendance à rejeter la biologie, la médecine et tout un tas d'autres disciplines".
Ce comportement peut être lié à un profil psychologique particulier qui cherche à contester systématiquement la parole des "élites qui nous cachent des choses" qu'il s'agisse d'hommes politiques, de scientifiques ou de journalistes, rappelle le spécialiste. Cela signifie que les adeptes de la Terre plate ou d'autres théories farfelues… n'y croient pas forcément et que leur posture compte parfois plus que l'idée qu'ils défendent.
"Cependant, dans ce contexte, il n'est pas étonnant que les personnes baignant dans les médecines alternatives ou la mouvance antivax soient relativement mal informées sur les véritables causes du cancer", estime Sebastian Dieguez.
Quelle influence ces groupes possèdent-ils sur le reste de la société ? La question mérite d'être posée. Car selon l'étude, près de la moitié des participants, conspirationnistes ou non, sont d'accord avec l'affirmation selon laquelle "Il semble que tout cause le cancer". Selon les chercheurs espagnols, "cela met en évidence la difficulté que rencontre la société à différencier les causes réelles du cancer des causes mythiques, en raison d'une diffusion massive d'informations, véridiques ou non. Cela suggère également un lien direct entre la désinformation numérique et les décisions de santé potentiellement erronées". Avec pour conséquence, un nombre de cancers qui auraient pu, sans doute, être évités.