Deux fois plus de féminicides en France depuis début 2023 : autopsie d'un naufrage

Isabelle avait 36 ans. Ce lundi 13 mars, son corps sans vie a été découvert à son domicile de Lamothe-Capdeville, près de Montauban. La jeune femme a selon toute vraisemblance été poignardée à mort par son mari, interpellé quelques heures plus tard. Isabelle était la mère de cinq enfants. Cinq orphelins désormais.

Ce scénario tragique se répète à un rythme terrifiant ces dernières semaines. D’après le décompte officieux réalisé par le collectif « Féminicides par compagnons ou ex », 32 victimes ont déjà succombé sous les coups de leur conjoint ou ancien conjoint en 2023. C’est deux fois plus que l’an dernier à la même date.

« On est même au-delà du niveau atteint mi-mars en 2019, qui était une année noire (avec 146 décès, NDLR). C’est juste catastrophique. Je suis très, très en colère », se désole Sandrine Bouchait.

La présidente de l’Union nationale des familles de féminicides, dont la sœur a été tuée en 2017 dans des conditions atroces – brûlée vive par son compagnon, sous les yeux de sa fille de 7 ans –, pointe d’emblée la responsabilité du pouvoir politique.

« On nous parle sans cesse de la “grande cause du quinquennat”, mais ce n’est que de l’affichage ! Dans la réalité, on ne fait qu’empiler les mesurettes et rien ne change. La preuve, c’est que l’on assiste toujours aux mêmes dysfonctionnements, qui aboutissent aux mêmes drames. »

Dans la litanie des homicides récents, deux drames presque concomitants, symboles des failles déjà tant de fois dénoncées, ont réalimenté l’indignation des associations. Le premier est survenu à Amiens, le vendredi 3 mars. En sortant de l’hôtel dans lequel elle travaille, Fatiha, 28 ans, tombe ce jour-là dans le piège mortel tendu par son ex. L’homme, qui l’attendait sur le parking, lui assène un coup de couteau fatal à la tempe.

Le couple était séparé depuis juillet 2022, date à laquelle Fatiha avait déposé plainte pour violences conjugales. Son ancien compagnon avait en théorie interdiction de l’approcher jusqu’à sa comparution devant la justice. Ce qui ne l’a pas empêché de continuer à harceler sa « proie » de façon quasi quotidienne, jusqu’à finalement lui ôter la vie.

Photo Richard Brunel

Le 3 mars toujours, à Saint-Laurent-d’Arce (Gironde), une femme de 54 ans est poignardée à plusieurs reprises à la gorge et dans le ventre par celui qu’elle avait quitté quelques semaines plus tôt. Catherine avait déposé plainte contre son futur meurtrier à deux reprises, le 5 puis le 23 février, pour « violences sans incapacité » et « diffusion d’images portant atteinte à l’intimité de sa vie privée ». Ni l’une ni l’autre n’ont semble-t-il été transmises au parquet.

Le sexagénaire qu’elle incriminait avait pourtant un profil pour le moins inquiétant : il avait été condamné en 2006 à vingt ans de réclusion pour une tentative d’assassinat sur une autre ex-compagne, mais avait pu sortir de prison de façon anticipée à la faveur d’une « mesure de réduction conditionnelle ».

La succession de ratés dans ce dossier édifiant a conduit Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, à demander l’ouverture d’une enquête administrative de l’inspection générale de la gendarmerie nationale.

« En France, on réagit toujours après coup, mais c’est trop tard. Aller expliquer à la famille, des mois après les faits, que des erreurs ont été commises, ça sert à quoi ? Ce que l’on demande, c’est que les femmes soient réellement protégées en amont, quand elles en ont besoin, mais aussi qu’une obligation de soins soit systématiquement imposée aux auteurs. Sans ça, on ne pourra pas lutter efficacement contre la récidive », martèle Sandrine Bouchait.

Fatima Benomar s’inquiète aussi de « la persistance, voire de l’aggravation des idées machistes et de l’idéologie masculiniste » – un constat d’ailleurs confirmé par le Haut Conseil à l’égalité dans un rapport sur le sexisme publié fin janvier.

« Dans cette période post-#Metoo, l’environnement redevient favorable à une forme d’impunité », juge la militante, « choquée » par « l’installation d’un discours ambiant de régression, qui euphémise sans cesse ». « Quand, à propos de l’affaire Quatennens, vous entendez LFI dire “une gifle, passe encore”, ce n’est pas neutre. Cela crée un climat propice au passage à l’acte. » Conclusion lapidaire de la fervente défenseure des droits des femmes : « La France n’est toujours pas à la hauteur, point barre ».

Stéphane Barnoin