Deux Auvergnats racontent leur expérience de la convention citoyenne sur la fin de vie
Un numéro s’affiche sur l’écran du téléphone de Marc Pupier. Un 01. Il est plus de 20 heures, un soir de novembre. Le Brivadois décroche. Et s’embarque dans une aventure humaine et démocratique. Avec 184 autres personnes, cet habitant de Lamothe vient de participer aux neuf sessions de la convention citoyenne sur la fin de vie. Cette dernière s’est terminée le 2 avril. L’expérience a aussi marqué Frédéric Storup, originaire de La Chapelle-Laurent. Par les rencontres. L’intensité de l’exercice. Les apprentissages. Les deux Auvergnats en sortent enrichis.
Marc Pupier et Frédéric Storup avaient été tirés au sort en fin d'année dernière.
Frédéric Storup et Marc Pupier ont accueilli la nouvelle comme une évidence. La convention précédente sur le climat les avait intrigués. « Cela aurait pu être un autre sujet, j’aurais dit oui », considère Frédéric Storup. Artiste plasticien et cordiste, il pouvait se rendre disponible. Tout comme Marc, éducateur et naturopathe.
Grande premièreIl y a l’appel et la réalité. En quelques semaines, les deux citoyens se retrouvent dans l’hémicycle du Conseil économique, social et environnemental (Cese) à Paris. Une fourmilière de 300 personnes.
« Une fois arrivé dans la salle hypostyle, où tout le monde se rencontrait, cela a été une sorte de vertige. »
Tous et toutes, choisis parmi 300.000 numéros, sont prêts à s’engager. « J’estimais être à ma place », renchérit Marc Pupier.
La convention correspond à son image de la démocratie. « Tout le processus a été de faire des groupes de travail », détaille-t-il. De dix, 30, 60 ou 180. « L’animation a permis à chacun de s’exprimer et donner son avis. À un moment donné, on prend des décisions et on émet un avis porté par la majorité. » Les citoyens ont aussi pu demander d’approfondir des sujets. Prendre le temps de comprendre. « Certains s’inquiétaient, poursuit Marc Pupier. Oui, on n’est pas parfait. Peut-être qu’on a oublié des trucs, que d’autres sont mal exprimés. Mais on est représentatif des Français. On n’est pas des experts. » Et tout était à construire.
Frédéric Storup, 25 ans, découvre cette « mécanique démocratique », sans piédestal. « J’avais cet intérêt de voir comment cela se passait socialement. » Les premières séances de travail et leurs post-it le laissent perplexe. « J’avais cette image d’un agrume pressé sans être mûr », ajoute-t-il. Le partage de la parole reste délicat. Certains la prennent plus facilement que d’autres. « Je n’ai jamais parlé dans l’hémicycle », avoue le Cantalien.
L'hémicycle du Cese a accueilli les 184 citoyens et citoyennes pour la convention.
À 58 ans, Marc Pupier est plus à l’aise dans l’exercice. Le Lamothois prend la parole s’il en ressent le besoin. Se propose pour être rapporteur. Poursuit le travail – 9 heures - 20 h 30. Se met à compléter ses connaissances sur la fin de vie et à lire des ouvrages de plus de 1.200 pages sur les soins palliatifs.
« Pour moi, il fallait comprendre pour savoir. »
L’hémicycle lui rappelle un peu la fac de psycho, à Paris, dans les années 80. Les grèves étudiantes et les discussions en amphi. La suite ? Trente-quatre ans de travail et 28 dans le milieu associatif. « J’ai été maire, président d’un syndicat des eaux, responsable de structures, bénévole, énumère-t-il. La participation, l’animation et la réflexion sont des choses qui me motivent. » Engagé à l’ordre de Malte, la convention citoyenne s’est imposée comme une suite logique.
Densité des échangesLes week-ends de convention, Frédéric Storup retrouve l’énergie collective. Lui y pense la semaine, en « sous-couche ». Le voyage vers Paris l’aide à retomber dans le sujet. « Je me sentais moins légitime car je n’avais pas continué pendant la semaine », avoue-t-il. Il se sent parfois moins disponible mentalement. « La densité de l’exercice fait que le quotidien, on le laisse très vite derrière. »
Les sessions ont apporté aux deux Auvergnats un bagage de connaissances conséquent. Un nouveau vocabulaire. Le cadre législatif. Les positions des autres pays.
« Je ne me rends plus compte d’où je suis parti. J’imaginais les soins palliatifs comme surmédicalisés avec des gens en souffrance. »
Les témoignages de professionnels de santé, de philosophes, de représentants des cultes ou d’associations d’aide leur ont permis d’affiner leur vision.
Les deux ont abordé le sujet avec beaucoup de recul. « La convention est quelque chose de très cartésien, considère-t-il. C’est un espace pour réfléchir. On reste dans des choses techniques. » Marc Pupier gère les émotions. Ne se laisse pas envahir. « Je suis à l’aise avec cette question de la mort », estime ce dernier. Pour certains, l’expérience a soulevé des souvenirs douloureux de la perte d’un proche. « Il fallait prendre en compte l’individuel en équilibrant le débat général », analyse le Lamothois.
ChangementsAu-delà de la technique, la fin de vie détient une forte dimension humaine. Marc Pupier a pris conscience d’un enjeu sociétal. « Il y a beaucoup de paradoxes dans notre façon d’aborder la mort. Elle est présente tous les jours à la télé et en même temps, on l’exclut depuis une cinquantaine d’années. »
La convention a fait évoluer la vision des deux citoyens sur la fin de vie. Un « nouvel œil » pour Frédéric Storup. Une vaste réflexion pour Marc Pupier. Il découvre les points de vue des autres.
« Ça a été un passage de me dire : il y a une posture générale plutôt favorable à l’aide active à mourir, qu’est-ce que tu fais ? Où tu te situes ? »
Au fil des week-ends, les groupes d’opinion se forment et les arguments avec. Le tout dans un esprit de bienveillance. « Qu’on veuille l’euthanasie ou l’éviter, c’est pour le bien de l’autre, expose Marc Pupier, sans jamais avoir senti de pression. Notre rapport est un nuancier de tous les points de vue des citoyens. Avec certains points clefs, le pourcentage de répartition des différentes options et avis, entre la liberté absolue, ou avec des conditions. » Pour lui, un exercice de justesse.
Clarifier leur pensée s’est fait à travers l’écoute et le partage des autres. La convention reste une histoire de rencontres. Les discussions à l’hôtel, au petit-déjeuner, dans les transports. Ces échanges, d’abord cordiaux. Toujours dans le respect. Frédéric Storup rejoint un petit groupe. Marc Pupier sympathise avec une psychologue d’Ajaccio. Après cinq mois, la séparation a été « difficile ».
La remise du rapport final et la visite à l’Élysée début avril ne marquent pas la fin de la convention.
« Je ne peux pas continuer mon quotidien comme si je n’y avais pas été. »
Frédéric Storup réfléchit à reprendre des études. Et s’investir dans l’association pour suivre la prise en compte des avis. Marc Pupier participera aux travaux de chercheurs présents tout au long de l’exercice. Sans oublier ses engagements associatifs. Et si le téléphone sonne à nouveau, ils savent que, parfois, cela vaut la peine de décrocher.
Rapport final. Le 2 avril, les membres de la convention ont rendu leur rapport final. « Pour une majorité de citoyennes et citoyens de la convention, l’accès à l’aide active à mourir doit être ouvert », concluent-ils. De nombreuses nuances et recommandations sont apportées. Le rapport est à retrouver sur le site du Cese.
Lucile Bihannic