A Paris, les bistrots du 11e coincés entre terreur et résistance au terrorisme
Tout près des lieux des attentats sanglants du week-end, les bistrots de la rue Jean-Pierre Timbaud, véritables creusets du Paris multiculturel, ont rouvert lundi en tentant de résister au terrorisme par la convivialité. Malgré la peur.
Lundi, au comptoir du Cannibale, bar emblématique des branchés parisiens, Bastien, un client dont l'appartement est situé juste au dessus du café, estime que les Français "ne vivront plus comme avant", mais qu'ils "continueront d'aller au bistrot".
Dans cette rue du 11e arrondissement où les petits artisans d'il y a vingt ans ont cédé la place à un étonnant mélange de bars branchés et de commerces religieux musulmans, voisinent une mosquée, une école catholique, un centre culturel et un lycée privé spécialisé dans la mode. Une synagogue n'est pas très loin.
Cette rue est un "vivier du monde, un vivier des goûts, des envies", dit à l'AFP l'hôtesse du centre culturel La Maison des Métallurgistes.
"Chacun se respecte, nous voyons aussi bien des barbus hipsters que des barbus religieux, je les connais depuis des années", dit Kamel, directeur du Cannibale, qui dirige une équipe d'une quinzaine de salariés.
A midi, le propriétaire des lieux arrête la musique, un morceau de Miles Davis. Il passe de table en table pour demander à tous de respecter la "minute de silence" en hommage aux 129 morts et 352 blessés des attentats qui ont frappé plusieurs bars et restaurants du quartier, la salle de spectacle du Bataclan et le Stade de France.
La salle se fige. Seule la machine à expresso ronronne.
Derrière le comptoir, chacun connaît quelqu'un qui était soit au Bataclan, soit dans les bars visés par les jihadistes.
Une serveuse n'est pas venue travailler lundi, sa soeur a été blessée de cinq balles sur une des terrasses.
Et une ancienne serveuse du Cannibale, passée à La Belle Epoque (l'un des bars mitraillés, NDLR) n'a dû sa survie qu'à son plongeon derrière le comptoir, raconte Kamel.
"En janvier, au moment de Charlie, les attentats étaient ciblés. Vendredi, c'est tout le monde qui était visé, tout notre mode de vie" souffle-t-il.
- #tousaubistrot, #tousenterrasse -
Kamel s'inquiète aussi de la véritable panique qui s'est emparée de ses clients dimanche soir, lorsque de fausses alertes apparemment simultanées (pétards, rumeurs...) ont été diffusées dans plusieurs quartiers de la capitale.
"Une vraie pagaille, tout d'un coup les gens ont sauté par dessus les tables, tout le monde a disparu, car une rumeur prétendait que quelqu'un tirait depuis une voiture blanche au bout de la rue", dit Kamel, les yeux encore incrédules.
"Pourtant, hier (dimanche), les gens voulaient se parler, pour ne pas baisser les bras, je les ai sentis soudés. Il faisait beau, notre terrasse était pleine", dit-il.
Au Fidèle, bar situé en contrebas de la rue, juste en face de la mosquée Omar, la chaîne Al Arabya montre les événements du week-end à Paris en arabe. Le patron offre des thés à la menthe aux visiteurs, tous des hommes. "On fait face, mais on sent bien un sentiment de panique", dit-il.
"Tout cela me rappelle tellement l'Algérie il y a vingt ans, au moment des attentats du GIA", lâche le cuisinier -kabyle- d'un autre café de la rue, en requérant l'anonymat.
"C'était dur d'ouvrir l'établissement aujourd'hui, mais je me suis dit +il faut bien que les gens mangent+. Je me concentre sur la préparation du repas, je ne veux penser à rien d'autre", ajoute-t-il.
"On a peur, mais on ouvre quand même, car on n'accepte pas ce qui se passe", renchérit le patron d'un kebab de la rue.
Un mot d'ordre de résistance à la terreur jihadiste est diffusé dans les milieux professionnels de la restauration parisienne pour mardi.
Le guide gastronomique Fooding, associé au syndicat national des hôteliers, restaurateurs et cafetiers (Synhorcat) appelle les Français à sortir dans les cafés et restaurants, via le slogan #tousaubistrot sur les réseaux sociaux.
Un autre mot-dièse #tousenterrasse rassemble d'autres résistants. N'empêche. Lundi, les terrasses de la rue Jean-Pierre Timbaud sont restées beaucoup plus vides que d'habitude. "Normal, c'était lundi", se rassure un serveur. Mardi, ce sera mieux.