"Cyril Hanouna est la créature de Bolloré et le produit d'acteurs politiques", selon l’historienne des médias Claire Sécail
Dans votre ouvrage, vous démontrez, point par point, comment une émission de télé, sous couvert de divertissement, peut imposer une dictature de la pensée unique. Qu’est-ce que cela dit de notre société ?
La place de « Touche pas à mon poste ! » est très éclairante sur l’état des rapports entre médias et politique. Cyril Hanouna est la créature de Vincent Bolloré, de ce qu’il veut imposer sur le plan idéologique. Mais il est aussi le produit d’un ensemble d’acteurs politiques, assez diversement répartis sur l’échiquier, qui ont contribué à le notabiliser.
Cette émission cristallise la polarisation, le clivage de la société, sa mise en tension, son hystérisation. Cyril Hanouna n’en est qu’un symptôme au même titre que d’autres arènes : les réseaux sociaux, Pascal Praud sur CNews…
Par rapport à la démagogie, qui recherche l’audience en flattant l’opinion publique, on est là dans le populisme, c’est un tout autre registre ?
Oui, parce que le populisme mobilise une vision de la société. Elle se résume en un peuple idéalisé, une élite jugée corrompue et une remise en cause de la démocratie représentative : l’État de droit, les institutions pénales, le débat parlementaire…
Tout cela prend du temps, un temps long que Cyril Hanouna stigmatise à l’envi comme avec l’Affaire Lola où il se passe de procès pour mettre immédiatement l’accusé en prison. Ou bien quand il décrète, avec les Gilets jaunes, qu’il suffit à l’État, pour régler la crise, d’appliquer sur le champ leurs « bonnes idées ».
Que signifie la soumission au chef, jusqu’à l’humiliation parfois, de la bande à Hanouna ?
Les chroniqueurs acceptent des choses qu’ils font passer pour de l’humour potache, de la vanne, mais qui en réalité construisent des rapports sociaux particulièrement hiérarchisés et violents. On les assigne à des tâches qu'ils sont payés à faire. C’est assez conforme à un leader comme Hanouna qui a besoin à la fois de la figure du peuple, le public, et d'un clan qui forge sa légitimité et sa popularité dans le débat médiatique.
Comme pour le chef d’un parti, il doit pouvoir compter sur la loyauté de ses chroniqueurs. Toute infidélité est bannie. L’animateur est là pour distribuer les partitions et permettre à chacun d’interpréter le personnage façonné à son image. Il n’est pas là pour surmonter les divisions internes de son groupe mais pour scénariser les inimitiés et les réconciliations.
Quant aux invités, ils sont le plus souvent des anonymes avec qui il va surjouer l’empathie, le paternalisme. Hanouna convoque ainsi l’homme de la rue et le bon sens populaire pour mettre en scène sa relation au peuple, la rejouer quotidiennement.
Ce qui fait que toute critique contre l’émission ou contre l’animateur revient à dénigrer le peuple ?
Ce discours-là, qui assimile toute critique à du mépris social, est performant car il produit des croyances chez ses fans. Ils le perçoivent comme la personne qui peut représenter leurs intérêts. Cette réalité d’un public populaire n’est d’ailleurs pas une invention. Ce sont des employés, des ouvriers, des chômeurs, des petits retraités, des jeunes étudiants précaires… Ce qui donne à TPMP de la valeur aux yeux de la classe politique. Elle peut s’adresser directement à un électorat qui, la plupart du temps, lui échappe.
C’est pour cela que les Gilets jaunes ont été un tournant pour Hanouna ?
Il se donne un rôle très valorisant mais en visionnant ses émissions, durant cette période, je n’en tire pas les mêmes conclusions : il a été plutôt ambivalent. Simplement, cette crise a cristallisé l’image de représentant du peuple qu’il voulait se donner. Il a été identifié comme l’espace médiatique le plus fondé à faire entendre la voix des Gilets jaunes. Certains membres du gouvernement, comme Marlène Schiappa ou Jean-Baptiste Djebbari, en participant alors à TPMP, ont bien compris l’opportunité qui leur était offerte de se désolidariser d’une élite jugée « méprisante ».
Cependant, vous dites que le vrai gagnant du populisme hanounesque est l’extrême droite politique et culturelle.
Au départ, Jean- Luc Mélenchon a pensé que cette arène était pour lui. Avec le temps, il a été concurrencé, puis avalé tout cru par une définition du peuple plus nationaliste porté par l’extrême droite. Et qui fait le jeu de Vincent Bolloré. Pour Cyril Hanouna et C8 en particulier, le but est de promouvoir le discours conservateur en l’enracinant dans du populaire.
Est-ce que cela peut nourrir chez Hanouna des ambitions politiques ?
Une BD a formulé ce projet-là mais, il le dit lui-même, il n’en a pas envie et je le crois. Il se nourrit chaque soir d’être élu par son public, et tant que ça dure, il en est satisfait. La politique , c'est un combat d'idées. Et il ne croit pas au système de pensée pour faire avancer la société. Sa vision repose sur des individus, sur du capital sympathie ou d’antipathie pour promouvoir des personnes ou en disqualifier d’autres.
Le fond des choses, il l’évacue. Ce qui traduit, de sa part, une vision assez misérabiliste du peuple, qui ne serait pas capable de comprendre les sujets compliqués.
Cette méthode peut-elle déteindre sur le paysage audiovisuel ?
Il faut être vigilant. On voit BFMTV faire aujourd’hui du CNEws, autre chaîne de Bolloré, par peur de perdre sa position dominante. La direction de cette chaîne imagine qu’on peut gagner des parts de marché par les seuls faits divers et les attentes « pied de grue » à la valeur informationnelle faible.
Même les dirigeants de France Inter ont cédé. Face à des attaques purement politiques, ils ont déplacé l’émission de Charline Vanhoenacker, accusée de « gauchisme » alors que le pluralisme a toujours été la marque de fabrique de cette radio populaire au sens noble du terme.
«Touche pas à mon peuple », de Claire Sécail. Editions du Seuil, 84 pages, 5,90 euros.
Propos recueillis par Nathalie Van Praagh