Sénégal : quand le "phare démocratique" africain vacille
105 voix pour, une contre. Et des députés de l’opposition escortés manu militari hors de l’Assemblée nationale. L’image pour la démocratie sénégalaise est terrible. L’adoption, dans la nuit du lundi au mardi 6 février, d’une loi permettant de reporter de près de dix mois l’élection présidentielle, a plongé le Sénégal dans l’inconnu. Le pouvoir n’aura mis que deux jours pour valider cette décision, annoncée durant le week-end par le président sortant Macky Sall, qui avait répété qu’il ne briguerait pas de troisième mandat. Motivé par "un différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel", ce report, à trois semaines du scrutin, a provoqué un séisme.
C’est la première fois depuis 1963, année d’instauration d’un régime présidentiel, qu’une élection est repoussée dans ce pays considéré comme un pôle de stabilité en Afrique de l’Ouest. L’opposition, qui y voit une manœuvre de Macky Sall pour maintenir son camp au pouvoir, crie au "coup d’Etat institutionnel". Alors que plusieurs candidats appellent à maintenir la campagne, le risque d’un embrasement grandit et fait craindre une nouvelle poussée de fièvre, à l’image des violences de 2021 et 2023 qui avaient causé des dizaines de morts. Pour endiguer la mobilisation, le gouvernement a suspendu l’accès à l’Internet mobile et plusieurs opposants ont été arrêtés.
Cedeao à bout de souffle
Mais la répression risque d’attiser la colère d’une jeunesse fatiguée des manigances politiques et de plus en plus séduite par les discours antisystèmes du principal opposant Ousmane Sonko, emprisonné. Tandis que la France, qui a perdu pied dans plusieurs pays de la région, suit avec inquiétude l’évolution de la situation chez son partenaire historique et appelle à tenir l’élection dans "le meilleur délai possible", les putschistes du Sahel peuvent se frotter les mains. Le "coup de force" de Macky Sall vient écorner l’image du "phare démocratique" sénégalais et fragiliser une Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à bout de souffle face à la série de putschs au Sahel.
D’autant que la crise politique au Sénégal intervient à peine une semaine après le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de l’organisation, désormais rassemblés sous leur propre coalition, l’Alliance des Etats du Sahel, face aux Occidentaux. « Si la manoeuvre au Sénégal passe sans ferme opposition de la Cedeao, cela devrait renforcer les discours des militaires au pouvoir au Sahel qui dénoncent un “deux poids, deux mesures” et le silence de l’institution face aux manipulations constitutionnelles des chefs d’Etat civils », souligne Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur à l’Institut d’études de sécurité de Dakar. Entre chaos et risque de dérive autoritaire dans un pays jusqu’ici épargné, l’avenir du Sénégal paraît soudain très sombre.