Plainte pour harcèlement : « un séisme politique » à la mairie de Limoges
La plainte au pénal pour harcèlement moral contre le maire de Limoges, Emile Roger Lombertie, et deux de ses adjoints, Catherine Mauguien-Sicard et Jean-Marie Lagedamont, s’est transportée sur le terrain politique.
Ce mardi 20 février, des élus de gauche ont publié deux tribunes, tandis que les élus de la majorité se réunissaient à la mairie pour évoquer l’affaire.
Une tribune des élus du PS.Des élus de Limoges Métropole ont publié une tribune dans laquelle ils soulignent le courage des plaignants, condamnent toute forme de harcèlement et rappellent les principes de la charge de l’élu local : impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité. Ils appellent aussi au respect de la présomption d’innocence. Vingt-deux élus l’ont signée, dont trois vice-présidents de Limoges Métropole. Ni Gaston Chassaing, maire de Feytiat, ni la première secrétaire fédérale du PS, Gulsen Yildirim, ne se sont associés à cette démarche.
« Cette affaire est un séisme politique, reconnaît cette dernière. Mais en tant que professeure de droit, il y a des principes essentiels que je me dois de respecter. Je soutiens les plaignants. Mais dans ce monde où l’on piétine tout, la présomption d’innocence, essentielle dans notre système, nous impose d’attendre que la justice se prononce. »
Après de nombreuses discussions sur les termes à employer dans cette lettre ouverte, les élus communistes ont quant à eux décidé de publier leur propre tribune avec une différence : dans les six lignes de textes, ils ne font pas référence aux plaignants. « Pour l’heure, ne disposant d’aucun élément ou information avérés susceptibles d’étayer un avis, et désireux de ne pas contribuer inutilement à alimenter un climat politique déjà suffisamment délétère, [les élus communistes] réaffirment leur confiance en la justice de la République pour y apporter la réponse appropriée. »
Des élus agacés, d’autres gênésEn off, certains élus avouent leur gêne dans l’affaire de harcèlement moral que disent avoir subi deux cadres. « On est bien malvenu de dire que l’agglomération n’a pas fait suffisamment pour son personnel puisque nous sommes en cogestion. Ce qui veut dire que l’ensemble des maires, de droite comme de gauche, ont une responsabilité commune dans cette situation et dans la mise au placard de l’un des cadres. Ce serait un peu “faux cul” (sic) aujourd’hui, de rejeter la faute sur le seul président », témoigne l’un d’eux, qui n’est pourtant pas du même bord politique que Guillaume Guérin.
« Honnêtement, depuis un an, on a recruté un psychologue du travail à l’agglo et une assistance sociale. Des choses ont été réalisées en matière de risques psychosociaux », assure un cadre de la communauté urbaine.
Jérémy Eldid, représentant du Parti Radical de Gauche, a affiché son étonnement en apprenant l’existence de cette tribune “d’élus de l’agglo” à laquelle il n’a pas été invité. « C’est une tribune des élus PS. C’est quand même incroyable. Quand j’ai demandé publiquement un audit sur les risques psychosociaux à l’agglo il y a tout juste un an, justement en lien avec cette histoire, aucun élu n’avait bougé. Et quand une plainte est déposée, ils publient une tribune, sans m’en avertir. C’est une récupération médiatique de l’affaire », dénonce celui qui met en avant, lui aussi, la présomption d’innocence, mais aussi l’écoute des plaignantes.
« Il n’y a pas de récupération, affirme l’élu de gauche Thierry Miguel. Vous savez, dans ce type d’affaires, tout le monde est perdant. » « On ne pouvait pas rester silencieux par rapport à ce qu’il se passe. Les élus ont un devoir d’exemplarité », note Thibaut Bergeron, élu PS.
Le grand amalgameDepuis la révélation de l’affaire, samedi, par le journal Le Monde, tout n’est qu’amalgame entre propos sexistes, agressions et harcèlement. Or, s’il y a plusieurs faits reprochés, pêle-mêle, à Émile Roger Lombertie, un seul fait l’objet d’une plainte contre lui et ses deux adjoints, mais aussi contre X : le harcèlement moral.
L’article 40 du Code de procédure pénale stipule qu’un agent public doit dénoncer, s’il est témoin d’un crime ou d’un délit, les faits au procureur de la République.
C’est dans ce cadre-là que des témoignages annexes de femmes parlant de propos sexistes à leur égard ont été produits, annexés à la plainte principale. Une ancienne collaboratrice a également affirmé, dans un courrier, qu’elle avait été « plaquée » sur un bureau par le maire. Elle aurait alors informé sa hiérarchie directe et deux cadres de la communauté urbaine, avant d’être placardisée. « Il s’agit d’une attestation écrite. La personne en question nous a donné l’autorisation de la produire en justice », note l’avocate des deux plaignants.
Mais le parquet confirme : aucune plainte n’a été déposée pour agression sexuelle. « Il appartiendra à la justice de délimiter le champ de l’enquête. »
La chancellerie informéeL’affaire concernant Émile Roger Lombertie est considérée au niveau du Parquet général comme “une affaire signalée”. Toutes les enquêtes en France qui concernent un élu, qu’il soit victime ou auteur, font l’objet d’un signalement à la Chancellerie (l'administration centrale du ministère de la Justice), ce qui est le cas en l’espèce.
Souvent, les services de police spécialisés, comme la police judiciaire, sont chargés de ce type d’enquête jugé hautement sensible. Pour l’instant, le parquet n’a pas été choisi, ni aucun service de police (lire ci-dessous).
Une réunion des élus de la majorité à la mairieCe mardi midi, les élus de la majorité se sont réunis pour évoquer l’affaire durant un peu plus de 30 minutes, avant un déjeuner commun. Pour l’instant, ils n’ont toujours pas eu accès à la plainte, ce qui, aux yeux du grand public, peut paraître étonnant.
« Et pourtant, c'est habituel, témoigne un magistrat de Limoges. Quand une plainte est déposée, on lance une enquête et ensuite, on auditionne les personnes. C’est normal qu’ils n’aient pas forcément accès au contenu de la plainte », détaille-t-il.
Émile Roger Lombertie et ses adjoints, tout comme les élus de la majorité municipale dans leur ensemble, refusent de parler. Une tactique de défense qui, de facto, ouvre le micro médiatique à l’avocate des plaignants, uniquement. Et pas aux personnes visées par la plainte.
« On est dans une période trouble et inconnue. Personne ne sait comment va se passer cette fin de mandat », se contente de résumer un élu. Qui, sur l’affaire, respecte les consignes données aux élus : se taire.
Une affaire instruite hors Limoges ?Comme l’avait demandé l’avocate des deux plaignants, Maître Christelle Mazza, l’affaire pourrait bien être dépaysée.
Les avocats auraient, dans le cas contraire, tout loisir de reprocher une forme de partialité à l’enquête, sachant que le procureur de la République, Baptiste Porcher, vient d’être traduit devant le Conseil supérieur de la magistrature… pour lui aussi avoir tenu des propos sexistes et graveleux. Un dépaysement paraît en outre logique au regard de la personnalité de la personne visée, le premier magistrat de la ville.
Il appartient à la Procureure générale de prendre cette décision, dans les heures ou les jours qui viennent. Si tel est le cas, l’affaire sera normalement instruite à Brive ou à Tulle, dans le ressort de la cour d’appel de Limoges. Si elle devait être instruite en dehors du ressort de la cour d’appel locale, une requête en dépaysement devrait être étudiée par la Cour de cassation. Mais il n’est pas certain que cette option soit choisie.
Franck Lagier