Avril 1944 à Meymac, en Corrèze, ou l’histoire d’une rafle de 59 juifs dans l’indifférence

Durant de longues années, cette rafle resta enfouie. On n’en parla pas, ou si peu. Pourtant, le 19 avril 1944, au moins 59 personnes ont été embarquées dans un train en gare de Meymac. Un aller sans retour pour Auschwitz. Seules six personnes ont survécu à ce voyage de la mort.

« Ces juifs étaient arrivés pour la plupart en janvier 1943, expulsés de la côte méditerranéenne à la demande du commandement allemand en prévision d’un débarquement allié, et assignés à résidence. Songeons à la pérégrination cauchemardesque de nombre d’entre eux : immigrés de Pologne, chassés d’Allemagne ou d’Autriche, repliés de Paris, refoulés de Montpellier, déportés de Meymac, assassinés à Auschwitz », résume l’historien Paul Estrade, qui a travaillé et rédigé un ouvrage sur la tragédie.

Cette rafle était venue sceller une semaine particulièrement violente, dans le canton de Meymac, où la menace de représailles allemandes a plané sur la population pendant plusieurs jours.

En ce mois d’avril 1944, les actions de la Résistance se multiplient dans le secteur. Le 14 avril, un convoi du 95e régiment de sécurité est attaqué au pont de la Vedrenne près de Maussac. Quatre Allemands sont tués. D’autres opérations de sabotages sont menées.

Les Allemands, qui n’arrivent pas à neutraliser ces poches de résistance, malgré une traque intense et la présence d’une colonne de 300 Allemands, peut-être la sinistre division Brehmer, sont fous de rage.

Le destin croisé de deux enfants raflés à Tarnac, le 6 avril 1944

L’état-major ordonne donc à la population de dénoncer les auteurs de ce qu’il qualifie d’attentat et menace en représailles, de brûler Lapleau. Sans succès. Alors, une première rafle a lieu le 15 avril à Maussac, puis une seconde le 17 à Meymac. Le préfet se dépêche sur place et obtient du commandant qu’il renonce à incendier Lapleau.

Aussi, " il consent à surseoir à toute exécution de civils (exception faite des juifs), jusqu’à l’arbitrage du colonel de son régiment à Brive", note le préfet dans son journal. " Exception faite des juifs", la parenthèse du préfet rappelle à quel point, sous Vichy, les juifs n’étaient pas des civils comme les autres. Au point de parler de "crime d’indifférence" à Meymac.

"Crime d’indifférence?? Oui, d’une certaine façon, s’agissant de ceux qui alors ont détourné la tête et ensuite ont feint de n’avoir rien su. Mais délit de complicité, bien plus grave, de la part des autorités vichystes qui se sont prêtées, semble-t-il, à un marchandage déshonorant. L’arrivée impromptue de familles juives étrangères a provoqué, par ses conséquences économiques, d’indéniables réactions d’antisémitisme. Ce qui frappe néanmoins, c’est le nombre élevé de juifs qui ont pu se cacher et s’enfuir avec le soutien de la population ", nuance Paul Estrade.

Isidore et Marjem Rozenblum ont été déportés dans le convoi parti de Meymac. Crédit Photo : Mémorial de la Shoah/Coll. André Panczer. 

Des comportements exemplaires, qui ont notamment eu lieu lors de la troisième rafle, celle du 18 avril, qui toucha essentiellement les juifs installés à Maussac et Meymac. Le gendarme Eymard, par exemple, ne se retournait pas pour voir si les raflés le suivaient jusqu’au point de rassemblement. Des initiatives individuelles risquées, qui n’empêchèrent pas 59 victimes d’être déportées le lendemain.

Cérémonie commémorative : Cérémonie commémorative de la Journée nationale du souvenir des victimes de la Déportation le dimanche 28 avril au Monument aux Morts. À l’issue de cette cérémonie, un hommage particulier sera rendu aux Déportés du 19 avril 1944 à 11 h 45 sur le parking de la gare.

" La rafle du 18 avril ne peut pas être assimilée à un acte de représailles, même si les deux rafles qui l’ont précédée, à Maussac le 15 et à Meymac le 17, ont été présentées comme telles par le chef des troupes allemandes d’opération. Sous un prétexte ou un autre, elle était programmée dans le cadre de la politique d’extermination des juifs menée par les Nazis. Le prédateur était aux aguets?; l’occasion a fait le larron. Ulcéré de n’avoir pu arrêter le moindre maquisard, dépité de n’avoir bénéficié d’aucune dénonciation, l’Occupant s’est jeté sur une proie fichée et traquée ", insiste Paul Estrade.

Grâce à l’AMDM (association pour la Mémoire des Déportés de Meymac) en 2003, 59 des déportés au départ ont pu être identifiés. Leurs noms apparaissent sur une plaque du quai de la gare de Meymac. 

Pierre Vignaud

Aller plus loin. Meymac-Maussac (14-19 avril 1944) Retour sur une tragédie enfouie, de l’AMDM, Éditions les Monédières.