Jean-Jacques Debout :"Sans Chantal Goya, je ne serais plus là aujourd'hui !"

S'il est le conjoint et le créateur de l'univers de Chantal Goya, d'autres femmes ont jalonné la vie de Jean-Jacques Debout. L'auteur-interprète leur rend hommage dans un album sensible, intime. Comme une autobiographie chantée.

Pour beaucoup, vous êtes davantage l'homme orchestre de Chantal Goyal qu'un chanteur et un auteur ayant travaillé pour les plus grands, Johnny en tête. Regrettez-vous que l'on ait un peu zappé ce pan de votre carrière ?

Non, je n'étais pas fait pour mener une carrière de chanteur. Je n'avais pas le caractère pour m'aimer assez, comme certains que je ne nommerai pas. Pour être une vedette de la chanson, il fallait avoir quand même un degré de satisfaction personnelle. Or, moi, je n'aimais pas. Je ne risquais pas de faire du tort aux autres artistes !

C'est au cœur de votre maison du Berry que vous avez écrit votre nouvel album. En quoi ce territoire vous inspire-t-il plus que d'autres ? 

J'y ai des souvenirs intimes très forts. Car, né en 1940 à Paris, dans le 12e arrondissement, j'ai été très malade et ma mère a eu peur. J'ai été sauvé in extrémis suite à une opération. Mais le bruit courait que Paris risquait d'être bombardée. Mais l'ordre de Hitler n'a pas été appliqué. N'empêche, on m'a envoyé chez ma grand-mère paternelle dans le Berry, dans la région de Châtillon-sur-Indre. J'y suis resté longtemps, j'ai grandi dans cette maison. Et c'est là où je vis maintenant et que j'ai écrit mon nouvel album.

"Je n'ai jamais rêvé d'être une vedette de la chanson, car je ne m'aimais pas assez". Photo Olivier Bohin.

Les chansons sont habitées par de nombreuses femmes qui ont beaucoup compté. En premier lieu Frida Kahlo.

Un jour, quand je travaillais pour Daniel Filipacchi, président des disques RCA et producteur de Sylvie Vartan, son secrétaire déboule dans son bureau, annonçant qu'on venait de lui apporter un tableau de grande taille. Daniel avait hâte de le voir et il a été ébloui par cette toile surréaliste représentant une baignoire et deux pieds ensanglantés. Daniel m'a raconté la vie de cette femme qui a eu un très grave accident, la laissant trois mois dans le coma. Son histoire m'a intrigué.

C'est-à-dire ?

Un jour, j'ai accompagné une amie à Mexico dont la belle-mère avait une galerie d'art. Cette dernière avait été la galeriste de Frida Kahlo. Elle en possédait une cinquantaine dans sa galerie !

Ce fut la deuxième fois que j'ai été confronté à Frida Kahlo. J'ai tout lu sur elle. C'est une femme qui me fascine et qui m'a poussé à écrire sa vie en chansons, avec la musique des mariachis.

 Dans votre panthéon, il y a aussi Barbara.

Je l'ai connue à mes débuts : on a chanté ensemble au cabaret de L'Écluse où elle a démarré. On s'aimait beaucoup. Quand elle s'est fâchée avec Serge Reggiani, je l'ai remplacé lors d'une tournée au Canada. J'ai assuré la première partie de Barbara et je lui ai sauvé sa tournée canadienne !

Patachou a été votre première chance.

Effectivement. C'était une grande chanteuse qui, auparavant, avait été secrétaire de l'éditeur musical Raoul Breton. Un jour, Charles Trenet l'a entendu chanter. Le grand Charles lui a dit qu'elle avait une très belle voix. Patachou lui a dit qu'elle ne voulait pas en faire son métier. Trenet lui a répondu : "Quand on a cette voix et de tels beaux yeux, vous privez le public de beaucoup de joie." Et sa carrière a été lancée ! 

Chantal Goya et Jean-Jacques Debout invités du monde enchanté de Jean de La Fontaine, à Dreux. Photo Olivier Bohin.

Une chanson évoque votre scolarité dans le collège de Juilly, en Seine-et-Marne, où vous aviez Jacques Mesrine comme meilleur copain...

Je servais la messe avec lui très tôt le matin, en 1946. Je l'appelais Jacky. Il avait très bon cœur et aider les orphelins de guerre. Quand sa mère venait le voir le dimanche, elle lui ouvrait un sac rempli de billets et lui disait : "Sers-toi pour aider les orphelins." Et Jacques achetait de quoi habiller les orphelins. Jacques est toujours resté mon ami, même lorsqu'il fut présenté comme "l'ennemi public numéro 1". Il avait un grand cœur, mais il ne fallait pas lui résister. Il était à la fois fragile et fort, capable de se mettre hors de lui... Et de faire ce que l'on sait tous.

Votre chanson sur Anne Frank est d'une brulante actualité. Ce retour de l'antisémitisme vous inquiète-t-il ?

Beaucoup. Sur le plan artistique, j'ai joué dans la pièce consacrée à Anne Frank, jouée par Pascale Audrey, sœur d'Hugues Aufray. J'étais la doublure de Jacques Charrier qui ne pouvait pas toujours être là, alors qu'il tournait au cinéma. Quant à la question de l'antisémitisme, j'ai bien peur que l'on n'ait pas tout vu. 

On ne peut pas se quitter sans parler de Chantal Goya qui est au cœur de votre titre, Ne ris pas. C'est votre plus belle œuvre ?

Sans Chantal, je ne serais, sans doute, pas là aujourd'hui. J'ai eu un cancer il y a une dizaine d'années, et Chantal m'a pris en charge mieux qu'un médecin ! Chantal est formidable. 

Y a-t-il des jeunes artistes qui vous inspirent ? 

Claudio Capéo. Il a de belles mélodies et ne se contente pas de chanter les mains dans les poches. Il bouge sur scène de façon magnifique, ayant un sens du music hall. Mais je ne veux pas être un donneur de leçons.

N'empêche, la nostalgie vous gagne...

Charles Trenet était le plus grand. J'adorais aussi Mouloudji. J'appréciais aussi d'autres artistes comme Dalida qui était d'une extrême générosité. J'ai fait plusieurs tournées avec elle. Chaque soir, elle invitait toute la troupe à diner, elle ne voulait jamais que l'on paie. Quand je lui faisais part de ma crainte qu'elle se "ruine", Dali répondait : "Ce n'est pas grave mon chéri. L'important, c'est que vous soyez heureux". Elle avait un cœur d'or et un grand talent.

Frida Kahlo, de Jean-Jacques Debout. 12 chansons. (Édition Kuroneko). Prix : 12,90€.

Olivier Bohin