Anne-Claire, originaire de Haute-Vienne, témoigne depuis la Vallée des Colons à Nouméa : « Nous avons peur de tout perdre »
La guérilla qui a éclaté dans certains quartiers de Nouméa depuis le début de l’insurrection gagne l’inquiétude des habitants de la Vallée des colons, située au nord de la capitale néo calédonienne. Anne-Claire Lévêque, originaire de Haute-Vienne, habite le quartier depuis dix-sept ans.
Les émeutes qui embrasent la Nouvelle-Calédonie, depuis le vote, mardi, de la réforme constitutionnelle à l’Assemblée nationale, plongent les riverains des quartiers de Nouméa dans l’angoisse.
Anne-Claire Lévêque, originaire de Limoges, habite depuis 17 ans dans le quartier de la Vallée des Colons situé au nord de la capitale. Cette Nouméenne d’adoption décrit « une situation surréaliste ».
Des habitants en « état d’hypervigilance »Depuis trois jours et deux nuits, les riverains dressent des barricades de fortune avec vieux frigos, grilles de fer et parpaings à l’entrée de chaque rue résidentielle pour empêcher les émeutiers de s’attaquer aux maisons. « Seules les artères principales sont accessibles pour laisser passer les forces de l’ordre. Nous sommes dans un état d’hypervigilance, car nous avons très peur que la situation dégénère. Nous sommes épuisés, en manque de sommeil. »
Anne-Claire Lévêque est journaliste radio pour la chaîne Première Nouvelle-Calédonie. Elle assure l’antenne sur les matinales, et loge dans un hôtel situé à côté de son lieu de travail, limitée dans ses déplacements par le couvre-feu.
Son compagnon et ses trois enfants sont confinés au domicile situé derrière la barricade, gardée la nuit par des voisins pour prévenir d’un éventuel danger.
« Nous avons créé des groupes WhatsApp pour nous informer sur tout ce qu’il se passe. Les barricades sont tolérées par les policiers, qui nous ordonnent de rester calmes, de ne pas faire de provocation et de ne pas risquer nos vies. »
Les autorités du pays ont interdit le transport et le port d’armes pour éviter tout dérapage. Dans ce quartier, les commerces ont déjà été pillés, un supermarché a été incendié à trois rues de la maison d’Anne-Claire, créant la panique dans certains foyers. Le manque de vivres se fait sentir, l’entraide s’organise sur les réseaux sociaux pour dépanner ceux qui manquent de nourriture, de couches pour bébés, de lait. Les habitants doivent attendre une à deux heures avant de pouvoir rentrer dans le seul magasin épargné par les émeutiers.
Les commerces font partie des cibles privilégiées par les indépendantistes. À Nouméa, des symboles de l’économie sont touchés. De grandes enseignes et industries sont attaquées, fragilisant encore davantage la santé du pays.
« C’est catastrophique pour la Nouvelle-Calédonie. Ce pays est magnifique. Il est doté d’un fort potentiel de création. Mais cette nouvelle insurrection fait écho à une crise sociale qui renforce la paupérisation de la population. J’ai peur que le pays ne s’en relève pas. Au premier jour des émeutes, un millier d’emplois ont été perdus à Nouméa », déplore Anne-Claire Lévêque.
En contact quotidien avec sa famille installée en Haute-Vienne, Anne-Claire n’envisage pas de quitter la Nouvelle-Calédonie, même si la situation du pays, en état d’urgence pour une durée de douze jours, devient très compliquée. « Mes trois filles ne peuvent plus se rendre à l’école, fermée depuis le début de l’insurrection. Les enfants ressentent notre peur. Je ne cache pas la mienne, et je ne leur dis pas que tout ira bien, car je n’en sais rien. Pour le moment, nous essayons de tenir et de faire en sorte que le quartier ne se transforme pas en guérilla. »
Aline Combrouze