Cette entreprise de Haute-Loire est l’un des derniers fabricants français de rubans pour rideaux

Considéré comme le spécialiste du ruban fronceur pour rideaux, René Héraud (La Séauve) n’a de cesse de se diversifier, de s’adapter à une demande très versatile. Du ruban, l’entreprise est capable de passer à la sangle et même à une sangle changeant de couleur à la chaleur ! Focus sur cette société qui défend le savoir-faire construit au sein de la filière textile locale que L’Éveil de la Haute-Loire vous propose de découvrir au fil d’une série de plusieurs épisodes à lire dans nos colonnes.

La société René Héraud, installée à La Séauve-sur-Semène, est l’un des derniers fabricants français de rubans fronceurs pour rideaux, communément appelés « Ruflette » (le terme désigne en fait une marque anglaise). Tout part du fil, de l’ourdissage. Dans l’atelier de fabrication, les bobines attendent d’être montées sur les métiers à tisser. De là commence le process de fabrication du ruban pour en arriver au produit fini, apprêté, prêt à être vendu dans le monde entier.Dans la confection des rideaux, le ruban a été détrôné par l’œillet (à l’origine utilisé pour des bâches de camion) qui est apparu il y a une trentaine d’années. Et avec lui, la confection asiatique s’est imposée dans le prêt à poser au détriment de la production française sur-mesure.Installé près de l’ancien fief rubannier qui était Saint-Just-Malmont. Avant l’apparition de l’œillet, l’emploi du ruban était le seul moyen de solidariser le tissu à la tringle et de faire de belles têtes de rideaux. Les professionnels ont longtemps mis en avant le côté pratique. Dans de petites poches vient s’incorporer le fameux crochet escargot. De cette manière, le rideau gagne en amplitude.

Les décorateurs ont l’habitude de dire qu’il faut deux fois plus de tissus que la largeur de la fenêtre. Malgré la présence d’œillets, les rubaniers interviennent quand même pour la fabrication de bandes de renfort. Ils proposent encore le ruban passe tringle. « La clientèle des magasins de tissus se rétrécit comme peau de chagrin », constate malheureusement Laurent Héraud, PDG de la société. Le business du beau rideau s’est transporté en direction de l’hôtellerie. Les grandes chaînes de vente de tissus peuvent aussi proposer un service de confection.On l’aura compris, le ruban fronceur ne suffit plus à faire vivre la société René Héraud et sa quarantaine de salariés. La production de rubans continue pour les rideaux, les stores, l’ameublement avec le passepoil, le galon pour tapisserie. Le ruban velours qui sort des chaînes de production de l’entreprise yssingelaise se retrouve dans la confection vestimentaire, pour les tours de cols par exemple, tandis que le ruban satin sera employé dans le packaging, imprimé et personnalisé à la demande du client. René Héraud travaille aussi bien pour des marques connues de parfum que pour le chocolatier local. L’entreprise a développé parallèlement une activité de négoce d’accessoires. Son catalogue s’est étoffé au fil des années. Et l’on y découvre, devinez quoi… Eh bien l’œillet figurez-vous qui a pourtant sonné le glas du ruban !René Héraud emploie 40 salariés sur son site de La Séauve-sur-Semène. Un personnel très qualifié. Avant de rejoindre la zone d’activité de La séauve-sur-Semène, René Héraud se trouvait à Pont-Salomon. Les locaux ont été conservés comme entrepôt et pour la préparation de commandes. Plus récemment, une nouvelle société y a vu le jour, BSJ Créations. René Héraud a racheté un site de vente en ligne d’accessoires de rideaux, Secodir-Deco, référencé aussi auprès de grandes enseignes.

« Nous sommes presque devenus de petits grossistes de l’ameublement mais avec ce côté fabricant », reconnaît Laurent Héraud. Le volet packaging avec des rubans destinés aux chocolatiers, traiteurs, parfumeurs n’est pas négligeable. Sur le parc de métiers pour rubans fronceurs, quantité de produits sont conçus. Le maître mot de la société de La Séauve-sur-Semène, est l’innovation. Il n’empêche que l’entreprise continue d’investir. Le matériel d’impression en sérigraphie fait partie de ces investissements, de même que la découpe laser. Il est courant désormais de voir sur les chaînes de production du ruban adhésif. Une machine a été construite spécialement pour les besoins de la société. L’entreprise Héraud a développé le sticker textile qui se substitue à la traditionnelle étiquette papier.« En général, l’innovation part des demandes des clients. Pour les adhésifs, l’un d’eux voulait une colle fondue sur le ruban. On a compensé la baisse des marchés du ruban d’ameublement par des rubans plus techniques. On ne cesse de s’adapter aux modes », commente Laurent Héraud dont la société a développé depuis un peu plus d’un an une gamme de sangles décoratives destinée à la bagagerie. Partant de là, ce nouveau produit évolue vers une utilisation outdoor pour équiper des bâches extérieures, des tentes. Dans l’esprit JO, et pour satisfaire à la tendance du « Made in France », ces mêmes sangles sont déclinées en bleu, blanc, rouge.Dernièrement en Allemagne, l’entreprise a présenté les dernières nées de ses sangles, ignifuges, imperméables et un produit totalement nouveau : la sangle qui change de couleur avec une source de chaleur et ce, grâce à un dépôt d’encre. De nombreux essais ont été nécessaires sur ce produit très technique avant de pouvoir le présenter. La société envisage de déposer une enveloppe Soleau, auprès de l’Inpi (Institut national de la propriété industrielle) qui constitue une preuve de création et date le projet.Tous ces produits restent des « niches de production ». Le ruban pour rideaux constitue encore, malgré tout, le socle de la fabrication, constituant la part la plus importante de l’exportation via des distributeurs et grossistes. En termes de volumes, le ruban satin arrive en deuxième position. Quel que soit le produit, la société yssingelaise n’hésite pas à mettre en avant le « Made in France », le vrai.

Laurent Héraud révèle : « On a aujourd’hui couramment du ruban fabriqué en Chine, qui rentre en France avec une faible valeur ajoutée pour y être transformé et qui peut devenir Français dès lors que 60 % du process de fabrication se déroule dans l’hexagone ».Le « Made in France » a ses limites. Il est devenu difficile de se procurer du fil français. La société Héraud utilise du fil asiatique, principalement du fil polyester, et même du polyester 100 % recyclé (issu de bouteilles en plastique) ou cellulosique (pour le packaging). Contrairement aux idées reçues, le coût de revient du polyester recyclé est plus important, ce qui aux yeux du PDG n’est pas pour autant un handicap quand on s’adresse à l’industrie du luxe, laquelle est moins encline à discuter les prix, s’attachant surtout à la qualité du produit. Si le moulinage est de moins en moins français, il peut être en revanche européen.Laurent Héraud en convient : « Les produits d’importation nous font du mal, les marchés sont tendus ». Le PDG s’attend à une année 2024 moins faste que l’après Covid, avec une pause sur les investissements.Le « Made in France », a peut-être ses limites mais reste un véritable atout pour l’entreprise, laquelle mise aussi sur sa réactivité. La production s’appuie sur un parc de 70 métiers à tisser, les uns capables de sortir des rubans étroits, d’autres plus larges, du métier basique à la machine informatisée dont le coût avoisine les 100.000 euros. La plupart des rubans passent en teinture après le tissage. « Sur une sangle, le client peut choisir entre une vingtaine de coloris », indique Laurent Héraud. Le fait d’intégrer toutes les étapes de la fabrication, de faire du développement, et du « sur-mesure » a permis à l’entreprise de tenir, contre vents et marées. Enfin, celle-ci, que ce soit pour l’ourdissage ou le tissage, peut compter sur un personnel méticuleux et qualifié. Laurent Héraud regrette : « Il n’existe plus d’école de tissage. C’est pour nous un vrai souci. On forme les personnels en interne, mais encore faut-il pouvoir trouver des gens qui veulent bien travailler dans le textile aujourd’hui. On ne sait pas comment on pourra parvenir à remplacer les salariés de plus de 55 ans qui partiront à la retraite dans les années qui viennent ». 

Philippe Suc

L’aventure industrielle a commencé dans un garage, se plaît à rappeler Laurent Héraud aujourd’hui à la tête de l’entreprise. La société a quitté la Loire pour s’installer à Pont-Salomon puis à La Séauve-sur-Semène.Les soyeux lyonnais ayant du mal à répondre à la demande avaient choisi aux siècles derniers de faire travailler des artisans à façon dans la grande banlieue stéphanoise. Il y a encore quelques décennies, Saint-Étienne était considéré comme « la capitale mondiale de la rubanerie », une activité qui a essaimé en Haute-Loire, Saint-Just-Malmont, Sainte-Sigolène entre autres. Satab, Janisset, Héraud font partie des derniers représentants de cette activité rubanière jadis très prospère.René Héraud, installée sur la zone d’activité de la Séauve-sur-Semène, emploie 40 salariés. Elle est typiquement une entreprise familiale. François Héraud, jeune ingénieur de 26 ans, neveu de Laurent (ce dernier en étant devenu le président à la suite du décès de son frère Philippe) a rejoint la société il y a un an. Il s’occupe des projets de développement. « La recherche et développement s’appuient sur un mélange d’idées en interne, glanées dans les salons, de réflexions que l’on peut avoir avec les clients. De là naissent les collections », témoigne Laurent Héraud. Il y a quelques semaines, l’entreprise a participé au Carreau du Temple à Paris avec près de 120 fabricants français sélectionnés au salon du Made in France, un salon essentiellement dédié à la confection. Chaque année, la société est présente dans un salon du packaging à Paris pour l’emballage de luxe et surtout à Heimtextil à Francfort, le plus grand salon en Europe pour les textiles de maison qui a permis à la société yssingelaise de se développer à l’international. Laurent Héraud indique : « Chaque année, nous y rencontrons notamment nos clients de Corée ». L’export, c’est 25 % du chiffre d’affaires de René Héraud.