Derrière la tentative d'assassinat, le climat irrespirable de Corbeil-Essonnes
Menaces, rackets, agressions... Le climat délétère de Corbeil-Essonnes s'est invité vendredi devant la cour d'assises de l'Essonne, où un proche de l'ancien maire Serge Dassault est jugé pour tentative d'assassinat en 2013, sur fond de soupçons d'achat de votes.
De sa poche, Jacques Lebigre sort une photo de sa fille, le visage tuméfié. "Elle a été torturée pendant trois quarts d'heure, enfermée dans un placard, tabassée", déroule-t-il péniblement, alors que le cliché passe entre les mains des jurés.
Cet ancien lieutenant de Serge Dassault, maire adjoint jusqu'en 2010 avant d'être mis sur la touche, enchaîne par la lecture d'un SMS signé "le renard du désert": "Ta fille, c'est bien fait pour sa gueule, on aurait dû la violer."
Les faits remontent à mai 2013, trois mois après que Younès Bounouara - jugé depuis mardi à Evry - a tiré à deux reprises sur Fatah Hou, qui circulait en voiture dans cette ville de région parisienne.
Au c?ur du conflit, une vidéo pirate coréalisée en novembre 2012 par Hou dans le bureau de Dassault, dans laquelle l'avionneur dit "avoir réglé Younès", après l'élection en 2010 de Jean-Pierre Bechter, l'un de ses fidèles qui lui a succédé à la mairie.
Un mois plus tard, le Canard Enchaîné s'appuie sur cet enregistrement et révèle que Bounouara, relais de Serge Dassault aux Tarterêts, une cité sensible de Corbeil, a touché 1,7 million d'euros du sénateur Les Républicains.
Celui-ci confirmera devant les juges un don de deux millions d'euros mais pour "un projet industriel en Algérie", sans lien avec le scrutin.
Selon Hou, Bounouara a voulu l'éliminer pour l'empêcher de "balancer le système Dassault". L'accusé, lui, assure avoir seulement craqué après plusieurs années de harcèlements et de menaces d'extorsion de fonds.
Ce "système Dassault", selon ses pourfendeurs, Jacques Lebigre est soupçonné d'en être l'un des rouages principaux. Dans les quartiers et les médias, le septuagénaire a un surnom: "le porteur de valises". Tout comme Serge Dassault, il est mis en examen dans le dossier, distinct, des achats de vote lors des élections municipales de Corbeil, instruit au pôle financier à Paris.
La justice se demande notamment s'il n'était pas celui par qui transitait l'argent du milliardaire pour rémunérer des agents électoraux.
- 'Système criminel' -
"Quand on ne pouvait pas s'adresser à Serge Dassault, on s'adressait à moi", reconnaît Lebigre, qui relate des centaines de messages de menaces.
"De Fatah Hou?", questionne le président. "Je ne sais pas. Une bonne partie n'était pas signée", répond Lebigre, se refusant à parler de "racket".
Un pas que Machiré Gassama, également mis en examen dans l'affaire des achats de vote, franchit aisément. Directeur jeunesse et sports à la mairie de Corbeil, cet ami d'enfance de Younès Bounouara, également proche de Dassault, avait concocté en 2011 un "organigramme des réseaux de nuisances" à Corbeil et placé Hou comme centre de gravité.
"Ce sont des gens organisés dans un système criminel. (...) et Hou était le leader de cette organisation", assure Gassama, victime d'une tentative d'assassinat en 2014.
Pascal Boistel, actuel directeur de cabinet du maire Jean-Pierre Bechter, évoque les mêmes intimidations: "on vous suit en voiture, on crache quand vous passez, on vous heurte violemment..."
Puis il accuse René Andrieu, qui accompagnait Fatah Hou dans la voiture, d'avoir menacé Jean-Pierre Bechter "de lui mettre une balle dans la tête".
Andrieu, qui a précédé Bounouara dans le rôle de relais de Dassault aux Tarterêts au milieu des années 90, s'emporte: "Je suis un ancien gangster, lui est un honorable en costume, qui va-t-on croire?"
Puis, désignant les trois lieutenants de Dassault: "Ils viennent tous le couvrir. C'est lui le patron, c'est lui qui a l'argent!"
L'avionneur, cité à témoigner ce vendredi, n'a pas honoré sa convocation, invoquant "un voyage à l'étranger".
Verdict le 18 mai.