"Colère" et "lassitude" chez les policiers, après l'attaque au cocktail Molotov
"En colère" d'être pris pour cible, "lassés" du manque de moyens, "écoeurés" par une réponse politique jugée trop faible: les policiers en région parisienne en ont gros sur le coeur, après l'attaque au cocktail Molotov contre quatre de leurs collègues dans l'Essonne.
Le pronostic vital d'un des quatre agents, très grièvement brulé, restait engagé après cette agression, menée samedi par une dizaine d'individus cagoulés à Viry-Châtillon, aux abords de la cité difficile de la Grande Borne. Une autre policière, qui était dans la voiture incendiée, a été grièvement brûlée aux mains et aux visages.
"Ca aurait pu être évité avec un peu plus de moyens", s'emporte, sous couvert d'anonymat, un policier du commissariat d'Athis-Mons, où exerce la gardienne de la paix brûlée.
Les quatre policiers attaqués assuraient la sécurité d'un carrefour connu pour ses vols à la portière. La mairie de Viry-Châtillon a placé sur ce feu rouge une caméra de surveillance, que des délinquants de la Grande Borne tentent régulièrement de détruire car elle gêne leurs trafics.
"En face d'une cité comme ça, on met normalement des moyens avec une section de CRS, plutôt que d'envoyer quatre pauvres malheureux", juge la même source. "Avant (l'attentat contre) Charlie Hebdo, on avait toujours une demi-compagnie de CRS sur l'Essonne. Aujourd'hui ce n'est plus le cas" car la crise migratoire à Calais et le contexte terroriste occupent "beaucoup d'effectifs mobiles", explique-t-il.
- "Sentiment d'être abandonnés" -
"On a vraiment le sentiment d'être abandonnés, alors que l'Essonne est le département le plus difficile d'Ile-de-France après la Seine-Saint-Denis", entre lutte chronophage contre le trafic de drogue et violences, soupire ce policier.
A la section départementale d'Alliance, le syndicat majoritaire de la police nationale, on réclame depuis des mois "300 effectifs en plus" pour faire fonctionner l'Essonne.
"Le manque d'effectifs a fait qu'on a été obligés d'envoyer des collègues du service général (sur cette mission), pas équipés de tenues ignifugées et pas rompus à l'ultraviolence", gronde le secrétaire départemental Claude Carillo.
Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a assuré lundi que les agresseurs seront "rattrapés" et "sévèrement punis". Mais "ça, c'est pas du concret", balaie le syndicaliste. "On ressent de la colère et de l'écoeurement, qu'on n'ait pas de réponse et de considération".
Lui réclame "la fin des tâches indues, comme les gardes statiques" devant les écoles, les synagogues, ou cette fameuse caméra. Un sentiment partagé au-delà de l'Essonne.
En Seine-Saint-Denis, le secrétaire d'Alliance Grégory Goupil évoque "une grosse lassitude due à la multitude de servitudes qui empêchent d'être sur le terrain". Dans les Hauts-de-Seine, "les effectifs sont surexploités" et la "fatigue humaine générale", dénonce Jean-Philippe Bozzola, secrétaire d'Unsa Police, un syndicat minoritaire.
- "Grève du zèle" -
Face au malaise, Alliance a appelé les policiers à une "grève du zèle" à partir de mardi.
Malgré la hausse des effectifs au niveau national, "la répartition des moyens ne correspond pas à la délinquance. Il y a une concentration à Paris pour des raisons politiques, la banlieue est moins bien servie", juge un responsable policier d'un autre département francilien, qui ne souhaite pas donner son nom.
Le policier entre la vie et la mort est d'ailleurs "un adjoint de sécurité, c'est-à-dire un emploi jeune", relève ce responsable. Comme l'agent agressé au printemps en marge d'une manifestation contre la loi Travail à Paris, par des casseurs qui avaient incendié son véhicule.
"Ce n'est pas normal que ces auxiliaires de police se retrouvent en première ligne", s'indigne-t-il. Particulièrement dans un département comme l'Essonne qui "fait partie du top ten pour les violences urbaines".
Dans ce genre de quartiers sensibles, "on est clairement sur des guerres de territoires entre la police (...) et certains qui veulent en avoir le contrôle pour la tenue de leur trafic de stupéfiants", constate un officier des Yvelines.