Encre, papier, style... Les questions autour des dessins attribués à Van Gogh
La controverse entre le Seuil, éditeur d'un carnet de dessins attribués à Van Gogh, et le Musée Van Gogh d'Amsterdam suscite une série de questions sur l'histoire du document, l'encre et le papier utilisés et avant tout le style de l'artiste.
- L'histoire des carnets -
Selon l'éditeur français, c'est l'expert en arts Franck Baille qui est à l'origine de la découverte. Le cofondateur de l'Hôtel des ventes de Monte-Carlo a expliqué avoir eu connaissance de l'existence du carnet "au cours d'une partie de chasse en 2008".
C'est un membre de la famille de la propriétaire qui lui présente pour la première fois le carnet.
En 2013, Franck Baille confie "l'enquête" sur l'authenticité de ce document à l'experte canadienne Bogomila Welsh-Ovcharov.
Selon le récit fait par Mme Welsh-Ovcharov, le carnet a été découvert par la mère de l'actuelle propriétaire en 1944 "dans une remise où se trouvaient les archives comptables du Café de la Gare" à Arles. La mère a remis ce carnet à sa fille en 1964 pour son 20e anniversaire. Il fut conservé toutes ces années dans un placard.
Le carnet, un livre de comptes appelé "brouillard", avait été offert à Van Gogh par le couple Ginoux, propriétaire du Café de la Gare. Le carnet aurait été restitué aux Ginoux en mai 1890 par le Dr Rey qui avait soigné Van Gogh après son auto-mutilation.
Le Musée d'Amsterdam conteste cette version. Il est "hautement improbable" que le carnet refasse surface en 1944 et qu'il ait fallu "plus de 60 ans avant qu'on se demande s'il pourrait être lié en quelque manière à Van Gogh".
Concernant le Dr Rey, le Musée estime que le médecin "ne vivait probablement pas à Arles à ce moment, étant donné que son emploi à l'hôpital avait pris fin en 1889 et qu'il avait à défendre sa thèse de doctorat à Montpellier en juin 1890".
- L'encre et le papier -
Selon le Seuil, la couleur originelle du papier sur lequel ont été réalisés les 65 dessins était "bleu pâle, chose assez courante pour les +brouillards+ produits à la fin du XVIIIe siècle en France".
A Arles, admet l'éditeur, "Van Gogh utilisa du papier jaune, jamais de couleur bleu". Mais, ajoute-t-il, le peintre employa parfois auparavant "du papier de teinte grise ou bleutée". Le papier du "brouillard", "fabriqué à la main", est de "grande qualité" et "absorbe bien l'encre".
Les encres utilisées dans le carnet sont de différentes couleurs notamment "une encre brune à base de sépia". "On sait", soutient l'éditeur, "que le peintre était familier de divers types d'encre."
Pour le Musée d'Amsterdam les dessins du carnet ont été exécutés avec "une encre sépia-gomme laque". Or, insiste-t-il, "ce type d'encre n'a jamais été trouvé dans les travaux des années 1888-1890. Van Gogh dessinait alors en noir (et occasionnellement en pourpre)".
Concernant le papier "sa couleur bleu verdâtre, sensément produite il y a environ 200 ans, aurait dû également se décolorer", affirme le Musée.
- Le style -
"Dans le +brouillard+, nous retrouvons le grand artiste que nous connaissons à travers des tableaux extraordinaires" et "un graphiste inattendu", explique l'éditeur. "Nous pouvons reconnaître les sites représentés", ajoute-t-il. Ces dessins "apportent un éclairage nouveau sur sa pratique créative à Arles et à Saint-Rémy ainsi qu'un aperçu inédit et intime sur sa vision artistique".
Ce point est catégoriquement contesté par l'institution néerlandaise.
Les dessins du carnet "ne reflètent nullement le développement de Van Gogh en tant que dessinateur à cette époque. Cela est très surprenant, car il était en constante évolution à ce moment".
"Le style est monotone, maladroit et sans esprit", juge sévèrement le Musée qui note "qu'un certain nombre de scènes de l'album contiennent des erreurs topographiques frappantes, alors qu'il n'en existe pas dans l'oeuvre de Van Gogh".
- Enjeu commercial -
"Vincent Van Gogh, le brouillard d'Arles, carnet retrouvé" représente un gros enjeu commercial pour Le Seuil qui en détient les droits mondiaux.
Le livre sera également publié jeudi au Royaume-Uni et aux Etats-Unis (Abrams) et en Allemagne (Knesebeck) ainsi qu'aux Pays-Bas (Lanoo). Le titre paraîtra également dans quelques semaines au Japon chez Kawade Shobo Shinsha.
L'ouvrage, vendu 69 euros, fait l'objet d'un tirage initial total de quelque 70.000 exemplaires, dont 25.000 en français.