La ville de Grasse rendra hommage au génie littéraire d’Ivan Bounine
Ivan Bunin avec des amis à Grasse en 1933. Crédit : Getty Images
« C’est un retour symbolique. Cette manifestation revalorise cet écrivain quelque peu oublié », a expliqué le Maire de Grasse Jérôme Viaud à RBTH. C’est Andreï Kovaltchouk, le célèbre sculpteur russe, qui a décidé de faire don de son art en offrant une statue en bronze d’Ivan Bounine, qui sera installée dans le parc de la Villa Saint-Hilaire, bibliothèque patrimoniale de Grasse.
Cinq œuvres d’Ivan Bounine à lire absolument
Deux expositions, l’une intitulée Dans les yeux de Bounine et l’autre, consacrée au travail d’Andreï Kovaltchouk, décoré de la Médaille d'or du rayonnement Culturel de la Renaissance Française et auteur de la célèbre sculpture NN à Léfortovo, accompagneront cet évènement symbolique, porteur des liens étroits qui unissent les cultures russe et française.Grasse, sa littérature et son rayonnement artistique
Cadre propice à la création littéraire, le pays de Grasse a accueilli, de passage ou en villégiature, des grandes pointures de la littérature telles que Jean Giono, André Gide, Paul Valéry ou Maurice Maeterlinck, pour ne citer qu’eux, mais aussi de nombreux peintres et artistes. Ivan Bounine, qui a séjourné à Grasse pendant 16 ans, y a composé ses plus grands chefs-d’œuvre, tels que Les allées sombres ou La vie d’Arséniev.
« L’empreinte russe est particulièrement forte dans les Alpes-Maritimes », concède le Sénateur et ancien maire de Grasse, Jean-Pierre Leleux, qui figure à l’origine du projet. « Ce projet tend à la fois à rendre hommage à l’écrivain, et à parler, à travers lui, de l’histoire de cette émigration, mais aussi d’art et de littérature. Grasse possède tous les atouts pour rayonner par son action culturelle », a-t-il ajouté.
À Grasse encore, par une journée froide et pluvieuse d’automne, Bounine apprendra que le prix Nobel de littérature a été décerné, pour la première fois dans l’histoire, à un Russe (blanc), qui plus est « un exilé ». « De tous les plaisirs que ma vie d’écriture m’a procurés, ce coup de téléphone de Stockholm à Grasse (…) m’a apporté, en tant qu’écrivain, la satisfaction la plus complète », se souviendra-t-il.
Crédit : Image libre de droit
Villa Saint-Hilaire.
Crédit : Image libre de droitIvan Bounine lors de la cérémonie de remise du prix Nobel à Stockholm en 1933.
« On tut son œuvre en Russie, on l’oublia en France » (Jacques Catteau, directeur de la Revue des études slaves)
Ivan Bounine, qui a reçu de son vivant les plus beaux hommages de la littérature, n’a sans doute pas la postérité qu’il mérite. Pour le sénateur Jean-Pierre Leleux, « il y a là une fragilité dans la mémoire collective ». Auteur injustement méconnu en France, mais jamais tombé dans l’oubli, ses nouvelles resplendissent tant par la beauté de la langue que par l’intensité des récits.
« Il n'a pas joui de la célébrité car il était en décalage avec son temps, et ce décalage continue à lui être préjudiciable », admet le Maire de Grasse Jérôme Viaud. « Mais je fais le vœu que Grasse donne un nouvel élan à la connaissance de Bounine », a-t-il déclaré.
Derrière la figure de proue des lettres russes, le caractère difficile d’Ivan Bounine, « d’une incorrigible susceptibilité », reconnait-il lui-même, n’en fait pas moins un grand homme, habité par le courage et la générosité.
« Comme je m’entendais bien avec vous! Au cours de la conversation, nous découvrions que nous étions d’accord sur rien, absolument sur rien », écrivit André Gide, sondant l’âme de celui qui pourrait recevoir, plus de 60 ans après sa mort, le titre de « Juste parmi les nations » pour avoir caché des juifs en France pendant l’Occupation. Le titre de « Juste », qui honore « ceux qui ont mis leur vie en danger pour sauver des juifs », est la plus haute distinction décernée à des civils par Israël.
Le réalisme bouninien, entre beauté et disgrâce du monde russe
Férocement anti-bolchevique, son exil en France ne lui fera pas oublier son amour pour la Russie, à laquelle il rend hommage, avec toute la délicatesse de sa plume, en décrivant les saveurs singulières des paysages russes et la richesse de sa culture. « Comment n’avons-nous pas sauvegardé cet héritage qu’avec orgueil nous appelions russe, nous qui croyions si fermement en sa force et en sa vérité? », questionne-t-il amèrement dans son roman autobiographique La vie d’Arséniev.
Ce sont aussi les fadeurs, les bassesses et la rudesse de la vie quotidienne qu’il retranscrit, notamment dans le sombre ouvrage Le village, que son ami André Gide qualifiera de roman « le plus puissant de la littérature russe du XXe siècle ». Tels d’illustres tableaux, Les Glaneuses de Courbet ou Récolte avant l’orage de Dupré, c’est finalement le portrait d’une Russie authentique, paysanne, que Bounine s’efforcera de saisir au travers de sa littérature.
« Il y a aujourd’hui des actions à mener pour partager et tisser des liens plus étroits avec cette culture russe d’une grande finesse et d’une sensibilité particulière », a témoigné le Sénateur Jean-Pierre Leleux.
De son côté, le Maire de la ville Jérôme Viaud a assuré que « le parc de la Villa Saint-Hilaire avec la statue d’Ivan Bounine sera une nouvelle étape dans le tourisme culturel et littéraire de la Côte d’Azur », ajoutant que « Monsieur l’Ambassadeur de Russie en France Alexandre Orlov a considéré ce projet comme le projet +phare+ de cette année nouvelle ».
Biographie d’Ivan Bounine
Né en 1870 dans la région de Voronej, Ivan Bounine est issu d'une famille appartenant à l'ancienne noblesse. Il passe son enfance à la campagne ; préférant d'ailleurs la nature aux bancs de l'école, il quitte celle-ci au bout de cinq ans. Cependant, sa famille comptant de nombreux poètes, il est très tôt sensibilisé à l'art de l'écriture. Comme il le fera remarquer, sa région natale a, de par sa nature des plus inspirantes, vu naître plusieurs des plus grands noms de la littérature russe : Tolstoï, Tourgueniev … C'est donc sur leurs traces qu'il commence à affiner sa plume.
À l'âge de 17 ans il publie ses premiers vers, suivis en 1891 d'une première nouvelle. Passionné par les langues étrangères, il travaille en parallèle à la traduction de nombreuses œuvres occidentales, notamment celles de Byron, Longfellow et De Musset. Cette ouverture sur le monde le pousse à entreprendre de nombreux voyages vers la Turquie, la Palestine, l'Italie ou encore l'Égypte, périples qui influenceront par ailleurs beaucoup ses écrits.
En 1903, pour son recueil de poèmes La Chute des feuilles, lui est décerné le Prix Pouchkine, prix littéraire le plus prestigieux de Russie de la période prérévolutionnaire. Par la suite, il se verra attribuer cette distinction à deux autres reprises.
Son œuvre, fortement marquée par les thèmes de la riche nature russe et de la misère paysanne, rencontre rapidement un vif succès et bouleverse la vision que la société se faisait de la vie à la campagne.
Alors qu'éclate la Révolution d'octobre, il ne tarde pas à s'exiler vers la France. Il gagne alors la ville de Grasse, où il restera 16 ans. Il y publie par ailleurs son journal Jour maudits, dans lequel il n'hésite pas à critiquer le pouvoir bolchévique.
Il reçut le prix Nobel de Littérature en 1933 et est encore aujourd'hui considéré comme l'un des plus talentueux écrivains russes du XXème siècle.
Rédigé par Erwann Pensec