L'éditrice Vanessa Springora accuse Gabriel Matzneff de pédophilie dans un livre coup de poing
Gabriel Matzneff ne s’en n’est jamais caché, revendiquant fièrement son attirance pour « les moins de seize ans » et ses exploits érotiques avec de jeunes garçons prépubères au cours de voyages aux Philippines dans ses œuvres (Mes amours décomposés) et sur les plateaux de télévision sans jamais être inquiété par la justice.
Pour la première fois, l’une des victimes de l’auteur de 83 ans prend la parole, révélant l'emprise que celui-ci exercait sur elle. Consentement (Grasset), livre dans lequel Vanessa Springora raconte sa relation avec Matzneff, au milieu des années 1980, alors qu’elle était âgée de 14 ans et lui de 49 ans, paraîtra le 2 janvier.
Long de 200 pages, le premier ouvrage de la Française de 47 ans raconte l’emprise de G. sur la jeune V. De la séduction de cette dernière à leur rupture en passant par leurs rapports charnels, la nouvelle directrice des éditions Julliard n’omet rien.
« À quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter. De cette anormalité, j’ai fait en quelque sorte ma nouvelle identité. À l’inverse, quand personne ne s’étonne de ma situation, j’ai tout de même l’intuition que le monde autour de moi ne tourne pas rond », écrit-elle notamment. Une relation toxique qui hantera l'éditrice bien après sont terme. « Comme si son passage dans mon existence ne m’avait pas suffisamment dévastée, il faut maintenant qu’il documente, qu’il falsifie, qu’il enregistre et qu’il grave pour toujours ses méfaits. »
Coqueluche du milieu littéraire parisien, Matzneff a longtemps bénéficié de la complaisance de ses contemporains. La parfaite illustration de celle-ci réside dans un extrait de l’émission « Apostrophes » datant de 1990 et partagé par l’INA le 26 décembre. Durant cette séquence, seule la romancière québécoise, Denise Bombardier, dénoncera ses pratiques, le comparant aux « vieux monsieurs » qui « attirent les petits enfants avec des bonbons. »
Gabriel Matzneff n'a jamais caché ses attirances pour les adolescentes, comme sur le plateau d' "Apostrophes", en 1990. Vanessa Springora publie un livre, "Le consentement", dans lequel elle décrit l'emprise qu'il a exercé sur elle dans les années 80 quand elle était mineure. pic.twitter.com/T2l2xyEsmC
— Ina.fr (@Inafr_officiel) 26 décembre 2019
La légèreté du présentateur, l’écrivain Bernard Pivot, interrogeant Matzneff sur son goût pour « les lycéennes et les minettes », choquent sur les réseaux sociaux et poussent le journaliste à réagir sur Twitter, renvoyant l’exclusive inhérence de cette souplesse morale au siècle dernier.
« Dans les années 70 et 80, la littérature passait avant la morale, aujourd’hui, la morale passe avant la littérature. Moralement, c’est un progrès. Nous sommes plus ou moins les produits intellectuels et moraux d’un pays et, surtout, d’une époque »
Dans les années 70 et 80, la littérature passait avant la morale; aujourd’hui, la morale passe avant la littérature. Moralement, c’est un progrès. Nous sommes plus ou moins les produits intellectuels et moraux d’un pays et, surtout, d’une époque.
— bernard pivot (@bernardpivot1) 27 décembre 2019
Une théorie de l’époque révolue que l’ancien membre de l’académie Goncourt n’est pas le seul à défendre. En partageant sur Twitter un article du Monde sur Matzneff, Josyane Savigneau, membre du jury Femina, a dénoncé une « chasse aux sorcières » faisant suite au mouvement #MeToo et à la vague de dénonciations des violences sexuelles dans le monde du cinéma depuis le début de l'affaire Weinstein en 2017.
« Les temps ont changé, il est devenu indéfendable » : dans un contexte post-#metoo, le malaise Gabriel Matzneff — via @lemondefr. @ChristinaStirka. La chasse aux sorcières continue. Et Denise Bombardier devient une référence. Qq résistants qd même https://t.co/1kbiOSjxBa
— Josyane Savigneau (@josavigneau) 23 décembre 2019
Hors de question cependant pour Françoise Laborde d'accorder de quelconques circonstances atténuantes à Matzneff : « Derrière l'argument, toujours le même qu'on entend, que c'est un grand littérateur, un homme qui a une jolie plume, cet homme était d'abord un prédateur », martelait vendredi matin sur FranceInfo la journaliste, qui regrettait également que Matzneff « ait été encensé par une sorte de caste parisienne qui trouvait que la pédophilie était une chose formidable ». Même son de cloche chez Valerie Rey-Robert, auteure d'Une culture du viol à la française, qui a fustigé sur Twitter toute tentative de nuancement des actes du lauréat du prix Reneaudot essai en 2013.
c'est très exactement ce à quoi adhèrent les défenseurs de Matznefff sur Twitter "il était courtois" "il est si poli". poli ou pas, une sodomie sur un enfant de 12 ans reste un viol s'il faut rentrer dans le vif du sujet. et c'est ce que votre héros a fait à de multiples reprises
— Valerie Rey-Robert (@valerieCG) 24 décembre 2019
De son côté, celui qui se qualifie lui-même de « philopède », trouvant l’appellation pédophile trop « pharmaceutique », dans Les Passions schismatiques, ouvrage où il décortique ses grandes passions : le Christ, la femme, la Russie, l’écriture et l’enfant, a, dans un mail envoyé à L’Obs, qualifié « d'ouvrage hostile, méchant, dénigrant, destiné à (lui) nuire », le livre de Vanessa Springora.
L'écrivaine a elle expliqué à l’hebdomadaire vouloir « apporter une petite pierre à l’édifice qu’on est en train de construire autour des questions de domination et de consentement, toujours liées à la notion de pouvoir. » Un message similaire à celui passé par Adèle Haenel en accusant le réalisateur Christophe Ruggia d'agressions sexuelles alors qu'elle n'avait que 13 ans. « Je veux raconter un abus malheureusement banal, et dénoncer le système de silence et de complicité qui, derrière, rend cela possible », avait-elle affirmé à Mediapart.