Pierre Gagnaire, le sphinx cuisinier
Si vous avez la chance de le rencontrer, ne vous attendez pas à un discours policé. La plupart des grands chefs en évoquant leur parcours pourraient vous parler de coup de foudre, passion, déclic. Rien de tout cela chez le cuisinier de Saint-Etienne.
Nulle vocation, nul plaisir dans sa démarche, mais seulement le devoir de reprendre très tôt le flambeau familial. Il rentre en apprentissage à l'âge de quinze ans, et durant ses dix premières années, se retrouve dans une ambiance qui ne lui plaît pas et ne l'intéresse pas. Mais comme un bon fils, il s'accroche, essaye de comprendre.
A vingt-cinq ans, il reprend l'affaire de son père. Quatre ans plus tard, il envoie tout balader et crée son propre restaurant en 1981. Très vite il obtient la reconnaissance: Gault Millau, Michelin... lui font tous les honneurs. Mais cela ne suffit pas et, en 1996, il dépose son bilan.
Il perd tout, du jamais vu pour une chef triplement étoilé.Presque vingt ans après, il analyse son échec. Il me parle de sabordage. Finalement, tout ce qui arrivait, était normal. Il avait négligé les fondations parce qu'il avait voulu aller trop vite.
Pas le temps, pas l'envie, trop de contraintes, ces années-là sont passées comme un sprint. Le château de cartes était fragile. Tout avait été mal ficelé dès le départ. C'est sans compter sur le caractère de l'homme qui se décrit lui-même comme courageux, inconscient et têtu.Il oublie aussi de mentionner sa formidable volonté et son orgueil qui font de lui un résilient.
Si échec il y a, sa cuisine n'est sans doute pas en cause. Cet environnement hostile l'oblige à donner un sens à son travail. La suite de l'histoire va nous montrer qu'il retourne la situation en faisant quelque chose de cette épreuve et en la transformant en petite œuvre d'art.
Pourquoi avoir continué, vous dites-vous, lorsque tout est dur et lourd à porter?
Parce que lorsque l'on a un don et un talent, qu'importe d'où ils viennent (malentendu, contraintes) impossible de ne pas se prendre au jeu. Comme un cavalier après une chute, il remonte sur sa monture pour sauter l'obstacle et détricoter l'histoire pour la reconstruire à sa façon.
Il quitte Saint-Etienne, sa ville natale et depuis vingt ans, les Parisiens peuvent se régaler de sa cuisine trois étoiles à l'hôtel Balzac. Dès le départ, son environnement personnel fait barrière afin qu'il puisse rester dans l'immense concentration nécessaire à ce nouveau projet. Pendant dix ans, il prendra aux aurores le chemin de chez lui vers le restaurant et fera la route en sens inverse très tard dans la nuit sans que rien d'autre n'interfère.
Il en profite pour repenser sa cuisine. Il la veut plus profonde, plus aboutie moins dans la séduction. Si au départ tout passait dans le visuel, aujourd'hui, il délivre une cuisine de goût, une cuisine qui colle aussi à l'évolution de sa personnalité.
Alors 50 ans après, qu'est ce qui lui plait aujourd'hui dans son métier?
Peut-être la page blanche à réécrire tous les jours, se remettre en question pour créer quelque chose qui a de l'allure. Peut-être aussi le plaisir d'être un leader, le chef de bande dans ses cuisines. Sans doute également, pour lui ancien timide et introverti, la chance de se servir de ce moyen de communication formidable qu'est la cuisine.
Nous sommes assis autour de la table d'hôte installée dans sa cuisine de l'hôtel Balzac, demain il fera découvrir la nouvelle carte qu'il vient de mettre au point pour le Fouquet's. Il a repensé cet été le restaurant Pier à Gordes. Il gère désormais plus de 20 restaurants dans le monde. Qu'on est loin de Saint-Etienne!
Désormais, fort de ses expériences acquises au fil du temps, il fait les choses dans l'ordre. Lorsqu'on évoque le monde culinaire dans sa généralité, il décrit la cuisine comme un artisanat, devenu expression artistique grâce à la presse, à l'écriture, aux voyages, à l'influence du Japon. Il déplore que les cuisiniers perdent le sens de la technique et soient moins les maîtres du jeu au profit des financiers qui dictent leur loi.
Qu'est-ce qui lui faire dire oui à une nouvelle aventure?
Les rencontres, la nature du projet et la qualité de la personne qui le sollicite, et encore plus que l'excitation d'être à Tokyo ou Séoul, le nouveau challenge à remporter.
A ceux qui ne sont pas persuadés que les échecs rendent plus forts, l'itinéraire de Pierre Gagnaire est un bon exemple du contraire.
Mais pour arriver là où l'on rêve d'aller, il est nécessaire de posséder courage, droiture, orgueil, passion, toutes ces qualités dont il est pourvu. Si on rajoute la bienveillance, on comprend pourquoi ses équipes lui sont fidèles depuis si longtemps.
Et, si encore tout en haut de la pyramide, on pose le panache et le style on approche très près des créations de l'artiste qu'il est.
La cuisine des 5 saisons de Pierre Gagnaire Ed. Solar
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