En Haute-Loire, il explore les maisons à l’abandon et se passionne pour l'archéologie familiale

 « Je suis l’un des seuls à agir à visage découvert, j’ai un site avec mon numéro de téléphone. S’il y a un problème, les gens peuvent me contacter », commence Vincent Duseigne. Ce spécialiste d’urbex nous a donné rendez-vous sur le parking d’une grande surface d’une commune du Brivadois, pour partir à la découverte de lieux abandonnés.

« Nous allons commencer par une maison. Je suis venu pour la première fois au mois de novembre dernier et elle m’a beaucoup touché. » D’ailleurs, comme il le fait à chaque exploration, il est entré en contact avec le fils de la défunte. « Je réalise toujours un article sur la vie des gens qui occupaient les lieux. Je remonte leur histoire grâce aux documents que je découvre. » Comme son nom et son numéro de téléphone sont présents sur son site internet, les propriétaires le contactent régulièrement. « Cela se passe bien, ils sont souvent dans des situations compliquées. Des biens qu’ils possèdent en indivision et qu’ils n’arrivent pas à vendre. »

C’est le cas de la maison en question. Sur le terrain, l’herbe est haute. La porte d’entrée est ouverte. Avant de s’y engouffrer, il fait un récapitulatif de la situation. Prénom de la défunte, de son fils, histoire de la famille, il connaît tout. (*)  « On va monter à l’étage, c’est là qu’il y a l’espace de vie. » Dès les premiers mètres, l’atmosphère devient pesante. La sensation est particulière. L’impression de violer une intimité s’impose. Mais, après seulement quelques minutes, une triste réalité s’affiche : la maison est retournée, les meubles sont éventrés, des vêtements jonchent le sol de toutes les pièces, des dessins et inscriptions obscènes emplissent les murs.

Je suis dégoûté, ce n’était pas du tout dans cet état quand je suis venu la première fois

L’homme est attaché au lieu. À son ancienne occupante aussi qu’il appelle sans cesse par son prénom. « On comprend que ce sont des jeunes qui n’en ont rien à faire. Ils cassent tout, c’est vraiment triste. Ils n’ont aucun respect. » Cette peine est amplifiée par les échanges qu’il a eus avec le propriétaire. « Il n’arrive pas à vendre et il ne vient même plus. Il y a tellement de dégradations, cela lui fait trop de mal de voir la maison de son enfance dans cet état. » Sur la table de la cuisine, ou de ce qu’il en reste, l’urbexeur pose un paquet de lettres. Datées de 1972 et 1973 par le cachet de La Poste, il y en a une trentaine. Une correspondance personnelle à laquelle s’ajoutent de nombreuses photos de famille. Tous ces souvenirs personnels sont là, sur une table. D’autres débordent de meubles que la gravité attire vers le sol. « Quand je vois la vitesse à laquelle la maison est dégradée, je ne peux pas tout laisser là. »

Vincent Duseigne décide de mettre les documents dans un carton. « Dès que l’on sort, on file à La Poste et je les envoie au propriétaire. Je ne sais pas si j’ai le droit de le faire, mais je m’en voudrais s’il perdait une part de son histoire familiale. » Une décision pas simple à prendre. Coincée entre la légalité et le devoir moral.

Plus loin, sur une chaise au milieu d’un couloir, les pages d’un vieux cahier sont posées. C’est une dictée datée du mercredi 27 octobre 1965. À quelques mètres, dans une chambre, des posters ne laissent aucun doute sur son ancien occupant. Il s’agissait de celle d’un adolescent.

Au fil des minutes, cette exploration fait remonter un nombre incalculable de sentiments. Tristesse, dégoût, curiosité, colère… Elle n’a évidemment rien à voir avec celle d’un ancien bâtiment industriel dans lequel on contemple des machines hors d’usage ou de vieux bons de commande. Ici, les personnes semblent encore présentes. C’est étrange.

Après quelques dizaines de minutes, il est temps de partir. « Je ne sais pas quand je vais revenir, encore moins dans quel état sera la maison d’ici là », regrette Vincent Duseigne. Avant d’ajouter : « J’en ai découvert une autre, à quelques minutes, elle est vraiment spéciale. On va aller la voir ». Après quelques échanges, comme une sorte de débriefing sur cette première expérience, la seconde maison offre une tout autre atmosphère. Elle semble plus froide. La végétation a pris ses aises, obstruant certaines fenêtres.

J’espère que tu n’es pas trop sensible aux odeurs. Les pigeons ont établi leurs quartiers.

Des effluves de fiente chatouillent désagréablement les narines. Pourtant, le bâtiment est ouvert aux quatre vents. Les fenêtres déverrouillées, ou cassées, permettent d’aérer les lieux, mais également aux oiseaux d’aller et venir à leur guise. Au grenier et dans les escaliers qui y mènent, la fiente recouvre le sol et les objets, parfois de près de 10 centimètres.

Sur trois niveaux, la maison est sombre, encombrée. Les armoires contiennent encore leurs vêtements. Jeux de société sur un bureau, animaux de la ferme et tracteurs en plastique sur une commode : le temps semble s’être arrêté. Quand ? Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Les questions fusent. Pas les réponses. « Je viens juste de découvrir cette maison. Je vais m’y intéresser et remonter le fil de son histoire, de celle de ses propriétaires. »

Pour nous, l’histoire s’arrête là. Peut-être un peu trop pesante. Pour Vincent Duseigne, c’est seulement une étape vers la quête de nouveaux lieux, d’autres histoires. C’est une passion dévorante à laquelle il ne peut se soustraire. Alors il va poursuivre son chemin un peu partout, et particulièrement en Haute-Loire où, selon lui, les endroits de ce genre sont nombreux.

(*) Par souci de confidentialité, aucun de ces détails, à commencer par la localisation de la maison, n’est communiqué dans cet article.

Nicolas Jacquet