Grandeur et décadence d'une manufacture de Brive que l'on comparait autrefois à Weston

En quatre-vingt-trois ans de son existence, la manufacture Argueyrolles de Brive (Corrèze) est passée de la production de sabots à celle des chaussures de golf. Maryse Chabanier retrace son histoire.

Ancienne fonctionnaire passionnée d’Histoire, membre de la société des Amis du musée Labenche et de la société scientifique historique et archéologique de la Corrèze, Maryse Chabanier est également collectionneuse de cartes postales. Elle en possède 10.000, dont plus de 5.000 sur Brive et la Corrèze. Beaucoup plus que de simples souvenirs, ces dernières sont aussi les témoins de l’histoire, les fenêtres précieuses sur le passé.

La Briviste animera ce samedi 11 mai à 14 h 30 au musée Labenche une conférence sur la splendeur et la désillusion de la manufacture de chaussures briviste Argueyrolles, (1918-2001).

Comment s’est-elle intéressée à ce pan de l’histoire économique et ouvrière de Brive ? En 2020, l’architecte Bénédicte Charnassé a acheté un immeuble situé rue de Balzac, qui abritait autrefois les bureaux de l’entreprise Argueyrolles. Pour le rénover dans l’esprit d’époque, elle a décidé de se plonger dans l'histoire de la manufacture. Puis, elle a l’idée d’un don et de la constitution d’un fond Argueyrolles au musée Labenche. Dans ses recherches, grâce à une rencontre sur Facebook, elle a trouvé une partenaire enthousiaste et efficace en la personne de Maryse Chabanier. Avec obstination et rigueur, cette dernière n'a pas compté ses heures de travail.  « Au début, je n’avais qu’une carte postale et une facture d'Argueyrolles. Pendant le confinement, Bénédicte était à Bordeaux, moi à Brive. On a travaillé sur l’histoire de l’entreprise, chacune de son côté. »

L’ironie du sort, le travail de deux femmes a été plus compliqué que prévu "à cause d'une faute d’orthographe ! Au départ, l’entreprise a été officiellement enregistrée sous le nom "Argueiroles". Il a fallu attendre 1954, pour que cette erreur soit réparée », explique la Briviste. 

C’est grâce à Simone Argueyrolles, fille du fondateur, habitant à Paris, que la quête de Maryse Chabanier va faire une avancée fulgurante. « Simone m’a envoyé tous les documents de l’entreprise en sa possession, raconte-t-elle. Il y avait, entre autres, des photos de famille et des papiers d’entreprise. De vrais trésors, dans une pochette en kraft mal fermée qui ne m’était même pas adressée en recommandé. Elle m’a aussi fourni plein de renseignements. »

Simone Argueyrolles, fille du fondateur de la manufacture, avec Maryse Chabanier.

Suite à un appel de Bénédicte Charnassé lancé sur Facebook, elle et Maryse Chabanier ont pu également rencontrer des anciennes ouvrières d’Argueyrolles, Emilia Carrico,  Christine Roussel et sa sœur Dany Lachaud.

« Chez Argueyrolles, il régnait une ambiance familiale, résume Maryse Chabanier. Les patrons s’occupaient des petits et gros malheurs de leurs employées. Si l’une d’entre elles était mal chaussée, ils lui donnaient une paire de chaussures, assorties à sa robe. Parce que les ouvrières n’avaient pas les moyens de s’acheter une paire de chaussures Argueyrolles. »

(De gauche à droite) Maryse Chabanier, Emilia Carrico, Bénédicte Charnassé, Christine Roussel et sa soeur Dany Lachaud et Billy Bourdier, compagnon de Bénédicte Charnassé.

Le fondateur de l’entreprise en 1918, c’était lui. Pierre-Louis Argueyrolles (1897-1974) est né à Laroquebrou, dans une famille de cordonniers. De retour de front, à l’âge de 21 ans, il s’expatrie à Brive. Il commence par y produire des sabots et des galoches. Il installe son atelier, bureau et maison rue Fadat, dont la partie sud sera renommée ensuite rue Balzac. À partir de 1943, l’entreprise Argueyrolles devient florissante et connaît des extensions successives afin de répondre à des demandes de plus en plus importantes. Son savoir-faire et la qualité de ses produits sont reconnus. Elle signera des contrats avec l’Armée française pour la fabrication de godillots, de brodequins et d’autres chaussures pour la Gendarmerie et les pompiers.

Villa Argueyrolles, une ancienne manufacture de chaussures transformée en logements. Photo : Stéphanie Para

« C’est incroyable. Je ne me l’explique pas, s’exclame Maryse Chabanier. Très jeune, en 1951, à l’âge de 54 ans, Pierre-Louis Argueyrolles cède les rênes de son entreprise à son fils Alain (1927-2001), âgé de 24 ans, tout juste revenu de l’Armée. Ce dernier continuera à la développer, en choisissant notamment une production principalement consacrée aux rangers militaires d’une qualité irréprochable. Du cousu Goodyear et du cousu norvégien pour une solidité à toute épreuve. En son temps, la qualité des chaussures Argueyrolles était comparé à celle de Weston de Limoges. »

En 2020, l’architecte Bénédicte Charnassé a acheté un immeuble situé rue de Balzac, qui abritait autrefois les bureaux de l’entreprise Argueyrolles. Photo : Stéphanie Para.

En 1981, Argueyrolles déménage sa production sur la zone de Beauregard, pour s’agrandir à nouveau. Les coupes budgétaires obligent l’Armée à revoir sa politique d’achats et de stocks de rangers. Alain Argueyrolles se rend compte qu’il faut diversifier la production. Il se lance donc dans la production des bottes d’équitation et des chaussures de golf.

Alain Argueyrolles a pris sa retraite en 1996. « Un PDG a pris la suite, souligne Maryse Chabanier. Est-ce que les travaux du Beauregard étaient trop conséquents par rapport aux rentrées d’argent, ou est-ce que c’était une conséquence d’une mauvaise gestion, on ne le saura jamais ? Toujours est-il qu’Argueyrolles déposera le bilan en 1997. L’entreprise est reprise par le groupe Desnos. »

Au moment où Manufacture Argueyrolles était à son zénith, elle employait entre 80 et 100 employés. En 1988, elle fabriquait 150.000 paires de chaussures par an. En 2001, l’année de sa disparition officielle, apportant les licenciements pour 37 personnes, elle n’en a fabriqué que 9.500.

Dragan Perovic