Comment Pierre Larousse, un enfant du peuple, a fait entrer le dictionnaire dans la vie des Français
Fils d’une aubergiste et d’un forgeron de l’Yonne, Pierre Larousse a démocratisé le dictionnaire. Il a tracé les lignes du Petit Larousse illustré qui témoigne depuis 120 ans de l’évolution de la langue française et de la société. L'édition 2025 paraît le 22 mai.
Professeur d’université émérite, Jean Pruvost est l'auteur d’ouvrages de référence sur la langue française et récemment du Féminin, Au fil des mots et de l’histoire (Éditions Tallandier). Il était le parrain tout désigné pour célébrer les 120 ans du Petit Larousse illustré : le lexicologue en possède tous les millésimes depuis 1905.
Quand et comment est né le dictionnaire français ? Avant la Renaissance, les dictionnaires ont d’abord été « latin-français ». La langue culturelle étant le latin, il fallait pouvoir la traduire en français. Ils sont devenus « français-latin » en 1539 avec Robert Estienne, imprimeur de François 1er, et son ouvrage, le Dictionnaire, qui inscrit la primauté de notre langue.
Cela se renforce au XVIIe siècle avec l’apparition du premier dictionnaire de l’Académie française, en 1694. Au XVIIIe arrive l’Encyclopédie, de Diderot et d’Alembert, au retentissement européen puis mondial.
Après la Révolution, les dictionnaires vont devenir plus petits : on les retrouve dans les lycées comme sur la table de la femme ou de l’homme de lettres. Mais aussi plus gros avec l’essor économique, scientifique et culturel du XIXe siècle. C’est là que naît l’instruction publique, en 1833, avec une école par commune et une École normale par département. Et c’est là que commence l’histoire de Larousse.
Larousse est donc le père attitré du dictionnaire que nous connaissons ? Pierre Larousse est un enfant du peuple. Sa mère était aubergiste, son père, forgeron. Dans le petit village de Toucy, en Bourgogne, l’enfant gambade au milieu des tables de l’auberge et comme il est bon élève, on le pousse à passer le concours de l’École normale, qui vient d’ouvrir. Et le voilà instituteur.
Il comprend très vite qu’il faut apporter aux élèves de la grammaire et du vocabulaire. Il crée, en 1856, le Nouveau dictionnaire de la langue française, qui est merveilleux. Il donne, en un petit volume accessible à tous, non seulement les mots de la langue française mais aussi, en fin d’ouvrage, les locutions latines, que l’on retrouvera dans les pages roses ensuite du Petit Larousse illustré.
Avec Pierre Larousse, le dictionnaire se démocratise ? Oui, parce qu’il était instituteur ; ce n’était pas un professeur d’université qui visait les élites. Il avait la volonté d’instruire le public. Dans la préface de ce dictionnaire – il s’en est vendu 5 millions d’exemplaires entre 1856 et 1905 –, on peut lire : « Un dictionnaire ne doit ni suivre de trop loin ni ouvrir la marche. C’est un laquais qui porte les bagages de son maître […] », le maître étant la langue.
C’est donc quelqu’un qui regarde l’usage et l’offre au grand public. Il traduit les mouvements de la société dans un format accessible en enrichissant la langue chaque année de mots nouveaux. En 1868, Pierre Larousse a l’idée d’ajouter les noms propres. Viendront des illustrations, en 1878, avec des planches.
1905, c’est l’année de naissance du Petit Larousse illustré. Que va-t-il changer ? Il entre dans les foyers jusqu’à la table de nuit. Il comporte des planches précieuses sur la réalité de l’époque – par exemple sur les automobiles, en 1905 – et deux planches en couleur sur les drapeaux et les champignons. On les retrouve d’ailleurs souvent arrachées dans les Petit Larousse que j’achète dans les brocantes, preuve de leur utilité encore aujourd’hui.
C’est un résumé dense, intense de tout ce qu’on pourrait consulter tant du côté encyclopédique que de la langue. Le fait qu’il soit mis à jour tous les ans en fait un vigile. Dans l’édition 1905, on observe, par exemple, que l’automobile, à l’époque, était un nom masculin. De la même manière, « énervé » était encore employé comme au XIXe dans le sens de mou, sans nerfs. C’est très précieux de conserver les dictionnaires au fil du temps pour savoir quand sont entrés les mots.
Justement, comment sont-ils choisis, ces mots ? Il n’y a pas de choix, de thèmes ou de domaines. C’est une sorte de vigilance. Un certain nombre de rédacteurs observent ce que l’on entend à la radio, à la télévision, ce qu’on lit dans la presse écrite, sur les réseaux sociaux... Ils notent au fur et à mesure les mots qui s’installent. Et ils choisissent ceux qui sont les plus fréquents. Comme « clic » en 2000 ou « bot » en 2025.
Des mots apparaissent mais d’autres disparaissent. Comment se prend la décision ? Souvent l’usage fait loi. Par exemple, les mots liés aux voitures à chevaux, qui n’existent plus, ou au métier de sabotier. Bernard Pivot, qui disait avoir appris les mots dans le Petit Larousse illustré, durant la guerre, était parvenu à faire réintroduire le mot « clampin », qui en avait été retiré. Mais c’est une exception.
Le dico a-t-il un avenir ? Il a précédé la radio, la télé et il est toujours là, en version papier et numérique. Certes, on le retrouve parfois dans les poubelles. Et le premier réflexe aujourd’hui, c’est internet. Mais il est le lieu d’une information sûre et un lieu de rêverie. « Bel canto » juste au-dessus de « bêler »?; « Pinocchio » juste après « Pinochet », ça ne s’invente pas. Seul le dico le permet?!
Parution, le 22 mai. Le Petit Larousse illustré 2025, 64.300 mots (150 nouveaux), 32,95 €. Disponible également en ligne.
À l’affiche aussi, une collab, la version courte pour collaboration professionnelle entre deux personnalités ou deux grandes marques, mais aussi l’empouvoirement, côté femmes, et le masculinisme, côté hommes. N’oublions pas dans cette galaxie communautaire grandissante, les platistes, de plus en plus nombreux à considérer que la Terre n'est pas ronde.
Parmi les nouvelles tendances gastronomiques, on retiendra le kimchi, spécialité coréenne composée de chou et de radis, le kombucha, boisson à base de thé, et le limequat, agrume hybride de la lime et du kumquat.
Côté sport, à quelques semaines des Jeux olympiques, on peut désormais qualifier officiellement un joueur de badminton de badiste, et utiliser les mots skatepark ou encore ultra-trail (course à pied en milieu naturel).
Coté noms propres, plus de 40 personnalités font leur entrée. Parmi elles, les chanteuses Beyoncé et Mylène Farmer, les actrices Cate Blanchett et Virginie Efira, l'acteur Omar Sy, le rugbyman Antoine Dupont, le footballeur Antoine Griezmann, le basketteur américain LeBron James, la journaliste iranienne et militante des droits de l'homme Narges Mohammadi ou encore le cuisinier français Frédéric Anton.
Nathalie Van Praagh