Déchéance de nationalité : aucun texte international n'empêche la France de rendre une personne apatride
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Seulement cette hypothèse a provoqué une fracture au sein de la majorité. Au-delà de l'inefficacité d'une telle mesure pour lutter contre le terroriste (quel kamikaze renoncerait à commettre un acte terroriste par peur de perdre sa nationalité française?), les principales critiques à gauche concernent une rupture de l'égalité de tous les Français devant la loi.
Pour remédier à ce second point (mais toujours pas au premier), plusieurs personnalités ont émis une idée: généraliser la déchéance de nationalité à tous les Français, qu'ils soient binationaux ou non. Après Jean-Vincent Placé, c'est Jean-Christophe Cambadélis, Bruno Le Roux et même le ministre Jean-Marie Le Guen qui ont abordé la question. Dans ses voeux au gouvernement, lundi 4 janvier, François Hollande a même déclaré tout en sous-entendu: "Nous devons refuser tout ce qui divise les Français en raison de leur origine, de leur religion ou du lieu où ils vivent." La première partie de cette phrase peut parfaitement être vue comme une ouverture vers une extension très générale de la déchéance pour éviter un clivage entre les Français.
"Nous sommes devant un débat juridique, un débat de relations internationales un peu compliqué, qui fait qu'il y a une législation qui interdit théoriquement de créer des apatrides", a cependant relevé le secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement.
Un seul obstacle: le code civil
Mais qu'en est-il réellement? La France s'est-elle vraiment engagée à ne pas créer d'apatrides? La réponse a de quoi surprendre. Le premier à avoir émis des doutes est l'ancien ministre centriste de la Justice Michel Mercier. Dans une communication faite au Sénat en février dernier, le sénateur du Rhône affirmait que la France n'avait juridiquement aucun engagement de ce type au niveau international.
Si le droit français interdit aujourd'hui de déchoir une personne de nationalité française qui deviendrait apatride, c'est uniquement en vertu d'une loi votée par le gouvernement Jospin en 1998. Le texte, défendu par la garde des Sceaux Elisabeth Guigou complétait l’article 25 du Code civil. Il est ainsi rédigé.
L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride:
1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme;
2° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal;
3° S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national;
4° S'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France.
Contactés par Le HuffPost, les juristes de la Cimade (association d'aide aux réfugiés et demandeurs d'asile) confirment qu'il s'agit là du seul texte qui empêche en l'état la France de procéder à des déchéances de nationalité qui rendrait quelqu'un apatride. Aucun texte international ne le proscrit juridiquement.
Deux textes internationaux sans valeur contraignante
Certes, dans son article 15, la Déclaration universelle des droits de l'homme signée par la France en 1948 prévoit que "tout individu a droite à une nationalité". Seulement ce texte a une portée juridique faible, comme le rappelle le site vie-publique.fr. "Il s’agit en fait d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies. Elle n’a donc pas la valeur juridique d’un traité international, c’est-à-dire qu’elle n’a pas de dimension contraignante et ne peut être invoquée devant un juge. Le Conseil d’État a affirmé qu’elle était dépourvue de valeur normative (notamment par un arrêt "Roujansky")", peut-on lire.
Le deuxième texte qui est régulièrement invoqué est la Convention de l'Onu de 1961 "sur la réduction des cas d'apatridie". Il prévoit dans son article 8 que "les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride." Certes la France a fait partie des 70 pays qui l'ont signée (en 1962) mais Paris fait également partie des 5 capitales qui n'ont pas ratifié le texte; or pour qu'un texte international soit applicable, il doit être retranscrit dans le droit français, ce qui n'est pas le cas. "En clair, la France n'est pas liée par cette convention, explique-t-on à la Cimade. Et quand bien même ce serait le cas, la France a émis des réserves qui lui auraient permis de s'en affranchir pour des faits de terrorismes".
Usage international
Étendre la déchéance de nationalité à tous les Français est donc théoriquement possible sans se mettre en retrait des engagements internationaux et par la seule modification du droit interne. Toutes les questions ne trouveront cependant pas une réponse avec une telle décision. "Patrie des droits de l'Homme, la France peut-elle s'affranchir de l'usage international du refus de l'apatridie", s'interroge une source gouvernementale. "L'un des intérêts annoncés de déchoir quelqu'un de sa nationalité est de pouvoir l'expulser dans l'autre pays. Qu'adviendra-t-il des Français qui auront été déchus et qui n'ont pas d'autres nationalités? Qui en voudra? On voit bien que l'idée est absurde", juge un opposant au principe de déchéance de nationalité.
A SOS Racisme, où l'on s'apprête à manifester pour la première fois contre le PS, on voit surtout dans cette proposition "la meilleur manière de ne pas l'appliquer". "Le gouvernement a compris qu'il avait marché sur une mine, il ne sait plus comment reculer", déplore Guillaume Ayne, secrétaire général de l'association.
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