Justice: le tour de vice
Le tribunal a donc conclu que "Le sexe qui [lui] a été assigné à sa naissance apparaît comme une pure fiction (...) imposée durant toute son existence". La personne concernée a d'ailleurs publiquement témoigné de son ressenti et de son sentiment de n'appartenir à aucun des deux sexes au vu de la singularité de sa situation. Si le tribunal en a tiré les conclusions qui s'imposaient, il n'a pas pour autant avalisé la possibilité d'un troisième sexe, mais a simplement constaté que le requérant ne pouvait pas rentrer dans les cases bien étroites de la binarité sexuelle en vigueur dans notre société.
On pourra imaginer sans grand effort, que le Ministère Publique, ne pouvant supporter une telle atteinte au principe fondamental qui nie systématiquement tout autre possibilité que l'appartenance à l'un ou l'autre des deux sexes, a donc fort logiquement fait appel de la décision du TGI.
Il y a quelques jours, la Cour d'Appel d'Orléans a invalidé le jugement au prétexte que: "La demande de changement d'état civil serait en contradiction avec son apparence physique et son comportement social".
C'est à la lecture de cet argument que l'on se rend compte la justice, dès lors qu'elle n'est pas encadrée par la loi, peut, sans état d'âme, sortir des sentiers du bon sens pour faire tout et son contraire.
Comme on peut le constater, les magistrats n'ont pas basé leur appréciation de la situation sur le sexe de la personne, ce dernier ne pouvant être défini. En évoquant l'apparence physique et le comportement social, il ont fondé leur jugement sur le genre auquel cette personne était censé appartenir.
Cette position est d'autant plus étonnante qu'elle va complètement à l'encontre de l'arrêt de la Cour de Cassation de 1992, toujours en vigueur, qui veut que le changement d'état-civil des personnes transsexuelle ne puisse être basé que sur le fait qu'elles ne présentent plus les caractéristiques de leur sexe d'origine. La Cour écarte donc toute possibilité qu'un tel changement soit le fait, non pas de leur sexe, mais du genre dont elles revendiquent leur appartenance.
L'arrêt de la Cour est on ne peut plus clair à ce sujet: "'Il n'est pas admissible qu'un individu puisse se prévaloir d'artifices provoqués par lui-même pour prétendre avoir changé de sexe, ce qui serait violer la règle de l'indisponibilité de l'état des personnes; que ces artifices ne transformaient pas un homme en femme, mais en créaient seulement l'illusion plus ou moins réussie ; que la seule conviction intime de l'appelant ne pouvait suffire à considérer que l'intéressé était devenu femme".
D'un coté, la justice oblige donc les personnes transidentitaires à subir nombre de traitements et d'interventions chirurgicales afin qu'elle puisse être reconnues comme étant du sexe revendiqué, de l'autre, elle refuse à une personne, dont le sexe ne peut être médicalement défini, le droit à un sexe "neutre" au nom du genre auquel elle est sensée appartenir.
Il serait bon de rappeler qu'en France, le procureur ne peut surseoir à la mention du sexe d'un enfant intersexué que durant trois ans ce qui explique que nombre d'entre eux subissent de façon totalement arbitraire avant cette date fatidique, des opérations de réassignation sexuelle sans qu'il soit tenu compte de leur orientation future.
La Finlande et le Portugal n'imposent pas de limite dans le temps pour enregistrer le sexe d'un enfant lorsque celui-ci ne peut être déterminé à la naissance, et l'Allemagne, même si la législation proposée est imparfaite aux yeux de L'Organisation Internationale Intersexe, semble en passe de suivre la même voix conformément aux recommandations du Conseil de l'Europe.
Dans le même ordre d'idée, un nombre accru de démocraties européennes ne conditionnent plus le changement d'état-civil des personnes transidentitaires à la nécessité d'une intervention chirurgicale, comme le préconise la résolution 1728 de ce même Conseil de l'Europe. C'est, par exemple, ce que s'apprête à faire la Norvège d'une manière particulièrement exemplaire.
Si les problématiques liées à l'intersexualité et à la transidentité sont différentes, elles présentent cependant deux point communs fondamentaux.
Tout d'abord, au nom du principe de l'indisponibilité de l'état des personnes, ceux et celles concernées par ces problématiques ne peuvent disposer librement de leur corps. Ces personnes sont, en l'absence de toute législation, le jouet du corps médical pour les enfants intersexués et celui d'une jurisprudence dépassée pour celles qui sont transidentitaires. Si la classe politique avait appliqué ce principe avec la même rigueur vis à vis des femmes, ils n'est pas sure que les lois sur la contraception et l'IVG auraient vu le jour. D'ailleurs, nul ne doute que le problème se posera à nouveau tôt ou tard pour la PMA...
Ensuite, ce sont là des sujets qui dérangent. Si l'orientation sexuelle commence à être admise comme un état de fait, l'identité sexuelle constitue encore une transgression d'un tabou majeur qui dépasse de loin le simple cadre de la morale judéo-chrétienne.
Le parallèle entre ces deux problématiques, Vincent Guillot, responsable de l'Organisation Internationale Intersexe l'a évoqué dans une tribune publiée suite aux propos tenus au Sénat par Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes.
Que ce soient les propos de Madame Rossignol, ou ceux de Madame Taubira tenus dans ce même hémicycle quelques années auparavant sur le changement d'état-civil des personnes transidentitaire, on retrouve la même volonté du gouvernement et de sa majorité de cacher une poussière bien embarrassante sous le tapis.
D'un coté, des enfants que l'on opère précocement sans qu'ils aient leur mot à dire et qui devront vivre dans un sexe qui n'est pas forcément le leur du fait de l'article 57 du code civil. De l'autre, des personnes transidentitaires auxquelles on impose une stérilisation, un suivi médical, et des opérations de réassignation, pour pouvoir changer d'état-civil à cause d'une jurisprudence aussi obstinée qu'obsolète.
Et tout cela au nom de quoi? Au nom d'une morale rétrograde, cause d'un refus systématique de légiférer sur ces questions, et laissant la part belle à des décisions médicales ou judicaires totalement arbitraires. Voilà qui ramène le pays des droits de l'Homme au Moyen-Age vis à vis du droit européen et des évolutions législatives nationales.
Symbole de cette hypocrisie, la déclaration faite en 2014 par la Direction des Affaires Civiles et du Sceau, (DACS), sur le changement d'état-civil des personnes transidentitaires, communiqué qui concernait également par ricochet les personnes intersexuées: "La modification du Code Civil ne relève pas de l'administration centrale mais du législateur."
Rappelons pour mémoire que la loi sur le Mariage pour tous émanait bien du gouvernement et tout particulièrement du Ministère de la justice. Cette dernière a entraîné la modification de ce fameux Code Civil soit disant intouchable. Comme quoi, la volonté de nos dirigeants pourrait mettre un terme à ces situations inacceptables à la seule condition qu'ils en aient le courage...
On aurait pu espérer que l'arrivée de Jean-Jacques Urvoas au Ministère de la justice aurait contribué à faire avancer les choses. Malheureusement, il n'en n'est rien, et le ministère reste campé sur ses positions. Autrement dit, ne rien faire à part nous proposer un rendez-vous avec un conseiller de troisième ordre qui s'empressera de caler son armoire avec nos dossiers.
Il est vrai que le ministère est très occupé. C'est ainsi qu'il publiait en 2014 une circulaire de 13 pages sur l'emploi de caractères issus de langues étrangères dans le prénom des enfants. Un problème fondamental si il en est. On comprendra donc aisément que, depuis quatre longues années, il n'ait jamais eu le temps de se pencher sur le sort des enfants intersexués et des personnes transidentitaires.
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